N° 53, avril 2010

Les tata somba : châteaux fortifiés du nord-ouest du Bénin


Odile Puren


Tata otchaou
Photos : Odile Puren

Des châteaux se dessinent au milieu du plateau du nord-ouest du Bénin : vous êtes dans l’Atacora. Ce département porte le même nom que la chaîne de montagnes qui le traverse. Celle-ci s’étend jusqu’au nord du Togo.

Les tata que l’on ne rencontre nulle part ailleurs que le long de la chaîne de l’Atacora sont construits par des peuples nommés : Batammariba (ce qui signifie « les bons maçons » dans leur langue : le ditammari). Ils sont originaires de la Haute Volta, l’actuel Burkina Faso [1]. On les appelle Somba au Bénin et Tamberma au Togo. Hostiles à toutes formes de dominations, ils ont émigré par vagues successives entre le XVIe et le XVIIIe siècle pour s’installer dans le nord-ouest du Bénin et le nord-est du Togo.

Vue de la terrasse d’un tata otammari

Ces châteaux auraient existé à Dinaba, le lieu d’origine des Batammariba. Mais aucune trace de ces constructions n’a été retrouvée dans la région en question. De deux choses l’une : soit les tata ont réellement existé à Dinaba au Burkina Faso et les Batammariba ont transporté les techniques de construction sur le plateau de l’Atacora, soit ce sont les difficultés d’adaptation à leur nouveau milieu de vie (animaux sauvages, campagnes guerrières des rois bariba [2] qui faisaient travailler les prisonniers dans leurs champs) qui les ont obligés à imaginer le plan de petits châteaux fortifiés.

Tata otammari

La population Batammariba est estimée à cent mille habitants au Bénin et à vingt mille au Togo.

Il existe cinq sortes de tata au Bénin :

1) Le tata otammari (ou tata bètammaribè)

C’est le plus grand, le plus beau et le plus complexe. Comme presque tous les tata, il est composé d’un rez-de-chaussée et d’un étage. Pour y avoir accès, il faut traverser le rez-de-chaussée et passer par une entrée entre deux tourelles qui portent, l’une, une chambre et l’autre, un grenier.

Ce tata possède trois terrasses : une petite à laquelle l’on a accès directement par une échelle (il s’agit du tronc d’un petit arbre, taillé tout le long à hauteurs égales pour permettre aux orteils de prendre appui et dont la partie supérieure est en forme de V), une deuxième en demi-cercle d’1,5 m de diamètre et une troisième beaucoup plus grande.

Tata ossori

Des orifices dans le muret supérieur entre les tourelles permettaient de tirer des flèches sur les ennemis.

Le tata otammari était doté à l’origine de sept greniers et de trois chambres. Ceux d’aujourd’hui ne possèdent plus que deux greniers, le nombre de chambres restant inchangé.

Il est important de noter ici que le mot otammari vient de mma qui veut dire « bâtir » et de titanti qui signifie « banco » ou « pisé », « o » étant le radical, ce qui donne « homme constructeur de banco ».

2) Le tata otchaou (le pluriel d’otchaou est bêtchabê)

La ville de Boukoumbé est peuplée par l’ethnie otchaou. A l’entrée du tata otchaou se trouve un arbre généalogique représenté par des traits tracés sur le mur. Chacun de ces traits représente un membre de la famille depuis l’origine des temps.

Autel du tata otchaou

Ce tata possède trois terrasses : une petite à laquelle on a accès directement par une échelle en bois, une seconde qu’il faut traverser obligatoirement pour accéder à la troisième plus grande. L’étage est dallé, il comporte trois greniers et trois chambres. Celle de la grand-mère est au milieu de la grande terrasse. Un trou d’aération percé dans la dalle permet d’évacuer la chaleur que dégagent les animaux parqués au rez-de-chaussée la nuit.

Le tata otchaou est encore appelé par certains, tata otammari de type 2 ou tata boukoumbé parce qu’il ressemble beaucoup par sa structure au tata otammari décrit ci-dessus.

3) Le tata ossori (le pluriel d’ossori est bessoribè)

L’ethnie ossori est majoritaire à Natitingou, la plus grande ville du nord-ouest du Bénin.

Le tata ossori possède un rez-de-chaussée et un étage dont l’accès se fait par une échelle donnant directement sur une grande terrasse. Celle-ci est entourée de trois chambres et de quatre greniers.

Les tata otammari et ossori se rapprochent des tata tamberma du Togo.

4) Le tata tayaba

Les tayaba sont une ethnie vivant aux environs de Tanguiéta, l’une des villes de l’Atacora.

L’ascension sur l’étage de ce tata se fait de l’extérieur, à l’aide d’une échelle placée devant la porte du rez-de-chaussée. Le soir, quand tout le monde est monté, on l’enlève par mesure de sécurité.

A l’origine, lorsque l’on y montait, on accédait directement à une terrasse principale dotée de deux grandes chambres et d’un grenier ; puis une secondaire avec six chambres de tailles différentes.

Le tata tayaba actuel n’a que deux à trois chambres et deux greniers, tous situés à l’arrière-plan.

Tata otammari, grenier des hommes

5) Le tata berba

L’ethnie berba se trouve à Matéri, une petite ville au-dessus de Tanguiéta.

Le tata berba est le seul qui ne possède pas d’étage. Une échelle permet de passer sur une passerelle fermée pour entrer dans une cour intérieure. Celle-ci, ronde, est entourée de sept cases à toit conique de différentes dimensions et de deux greniers. Deux autres cases plus grandes se situent à côté de la passerelle. Ils sont tous reliés entre eux par un mur de quatre mètres de hauteur.

Il est à noter que, malheureusement, les derniers tata berba du Bénin sont en ruine.

Tous ces tata ont certains points communs :

- Les chambres et les greniers sont des tourelles à toit (en paille) conique. Celles-ci sont reliées entre elles par un mur circulaire de deux à quatre mètres de hauteur. Il est percé de part et d’autre au niveau de l’étage de trous permettant de voir de loin l’ennemi sans être vu, puis de le flécher à bonne distance.

- Les terrasses sont dallées. Elles portent un trou qui aère le rez-de-chaussée et permet aussi l’évacuation de l’eau de pluie récupérée ensuite dans une jarre pour l’usage quotidien.

- Toutes les portes des chambres donnent sur les terrasses. Elles sont si petites qu’il faut presque ramper pour entrer dans les chambres.

- Devant la porte d’entrée de chaque tata se trouve un autel dédié aux fétiches protecteurs de la famille et du tata.

- Lorsque l’on entre dans un tata, tout de suite à droite ou à gauche (selon le type de tata) on trouve la meule à grains très utilisé autrefois pour moudre les grains de mil, de maïs, ou les condiments.

Au fond du rez-de-chaussée, non loin de l’échelle qui donne accès à l’étage, trône le foyer dont la fumée vous envahit et vous imprègne lorsque vous montez sur la terrasse. Sur celle-ci, se trouve une autre cuisine en plein air. Elle permet de préparer les repas et de se réchauffer pendant l’harmattan [3]. Il arrive quelquefois de trouver une forge et des idoles à côté de la cuisine intérieure lorsque celle-ci est située au milieu du rez-de-chaussée.

Grenier des femmes

Nous avons dit plus haut que le tata somba jouait un rôle défensif. Il jouait également un rôle économique car il abritait non seulement les familles mais aussi les silos à grains, les animaux (bovins), les oiseaux (la basse-cour) et les insectes (des abeilles). Une pièce du rez-de-chaussée leur était réservée. De nos jours, seule la basse-cour y trouve refuge le soir et quelquefois les bovins.

Certains tata servent uniquement aux cérémonies d’initiation.

La construction d’un tata nécessite de la terre argileuse, de l’eau, du bois, des feuilles et du beurre de karité. Ces matériaux sont recueillis sur place. En général, les hommes des tata alentour sont mobilisés pour la construction. La part du travail qui demande moins d’énergie est confiée aux femmes et aux enfants dont le rôle consiste à aller chercher de l’eau aux marigots ou à la rivière. Construire un tata devient ainsi une œuvre communautaire.

Cuisine d’un tata ossori

La terre est d’abord débarrassée de tous ses déchets – cailloux, bouts de bois, tessons de bouteille, herbes… On en fait ensuite une butte pas très haute au milieu de laquelle on creuse un large trou dans lequel on verse de l’eau. Les hommes referment le trou avec la terre de la butte, puis montent dessus et la pétrissent avec leurs pieds. Après cette phase, ils se répartissent en plusieurs groupes : il y a ceux qui font des boules avec la pâte de terre obtenue, ceux qui ramassent les boules, ceux qui les passent aux bâtisseurs et ceux qui bâtissent le tata. Ces derniers construisent d’abord les tourelles, puis les murs qui les relient.

Chapeaux de cérémonie

Le propriétaire du tata, s’il en a les moyens, fournit le petit déjeuner et le déjeuner aux constructeurs pendant la durée du travail ; dans le cas contraire, chacun vient avec son repas. Mais il est tenu d’offrir la boisson aux travailleurs. Ils travaillent tous les jours sauf le jour du marché (qui a lieu tous les cinq jours).

Un chasseur ossori en train de faire une démonstration, Bénin

La construction d’un tata dure trois mois et parfois toute la saison sèche.

Les boules sont collées les unes aux autres et lissées à la main. On laisse sécher la première rangée avant de poser la deuxième. Lorsque le mur arrive à une certaine hauteur, les bâtisseurs travaillent à reculons parce qu’ils sont obligés de s’asseoir sur le mur pour pouvoir agglomérer les boules les unes aux autres.

Le bois sert à soutenir les murs et le plafond.

La dalle est composée de terre, de couches de feuilles de caïlcédrat et de traverses en bois de caïlcédrat ou en bois de karité (ces bois sont réputés pour leur solidité). Ces feuilles, selon les Somba, ont la vertu d’éloigner les insectes nuisibles du tata.

Tata moderne

Lorsque les hommes terminent la construction du tata, les femmes prennent la relève en crépissant les murs avant de les décorer. En ce qui concerne le tata otchaou, le crépissage se fait avec une pâte obtenue à partir d’un mélange de bouse de vache, de jus de néré et de la terre argileuse. C’est ce qui donne aux murs une couleur grise. Celui des autres tata se fait avec un mélange de terre et de beurre de karité, le tout bien pétri. La présence du beurre de karité imperméabilise en quelque sorte les murs. La décoration du tata diffère selon les ethnies. Un jour que nous visitions un tata, le propriétaire nous dit : « Regardez les scarifications qui sont sur mon visage, ce sont les mêmes que vous retrouvez là sur mon tata ». Ce qui signifie que le tata n’est pas une maison ordinaire ; il s’agit d’une œuvre d’art appartenant à une société bien définie et marquée par le sceau (ici les scarifications) de cette société. Notons cependant que seules les scarifications des Otammari sont reproduites sur les murs du tata. Les autres ethnies choisissent des dessins de telle manière qu’ils diffèrent d’une ethnie à l’autre et donc d’un tata à l’autre.

Les Somba sont des individualistes, leur installation dans l’espace le prouve bien. Les tata ne sont pas regroupés pour former un village comme c’est le cas des autres habitations du Bénin. D’ailleurs, une légende somba dit que « lorsqu’un jeune homme a fait son initiation et qu’il est prêt à construire son propre tata, il monte sur la terrasse de celui de son père, se met à l’une des extrémités, puis il tire une flèche le plus loin possible. Il construira son tata là où elle s’est plantée et y habitera toute sa vie ».

Le château somba est le plus souvent orienté ouest-est c’est-à-dire qu’il fait face au bonheur, donc, tourne le dos au malheur qui ne l’atteindra jamais. Il est aussi divisé symboliquement dans l’espace en deux parties : le nord de l’édifice est attribué aux femmes et le sud aux hommes. Par conséquent les cérémonies d’initiation ou de deuil se font pour chacun des sexes du côté qui lui correspond.

Objets fabriqués par les femmes, bracelets en herbes, objets en argile

Cette différenciation sexuelle s’observe également au niveau des greniers. Celui des hommes renferme leurs récoltes telles que le millet, le riz et le sorgho ; dans le grenier des femmes, on trouve des haricots, des pois, des fruits, des arachides… Le chapeau des greniers est retiré pour les remplir ou pour y puiser le contenu.

Hommes et femmes vaquent à leurs activités quotidiennes du côté qui leur est imparti. Il faut remarquer aussi que les divinités associées aux femmes ont leur demeure au nord et celles qui concernent les hommes sont au sud. Les plantes médicinales sont également stockées au nord, parce qu’en général ce sont les femmes qui connaissent les vertus des plantes et soignent les enfants quand ils sont malades.

Au cours de nos recherches, des enfants voulant nous proposer d’acheter des articles fabriqués par des femmes les ont automatiquement étalés par terre, du côté nord du tata.

L’orifice par lequel l’on monte à l’étage du tata se trouve au sud, donc du côté des hommes. Ceci signifie que les hommes protègent les femmes et les enfants d’éventuels dangers, de même, dans la rue, l’homme marche toujours devant la femme, ainsi, il est le premier à affronter le danger.

Dans le tata otammari ou ossori, le plus vieux chef de famille partage le vestibule avec les animaux. Parfois, il occupe la chambre située dans la tourelle centrale où sont conservés des objets sacrés et au-dessus de laquelle se trouve la chambre des filles.

L’entretien d’un tata est très difficile aussi les Somba choisissent-ils de nos jours d’introduire une autre forme d’habitat dans leur domicile. Ils adoptent le plan rectangulaire apporté dans le pays par le biais de la colonisation. Aussi voit-on actuellement une maison rectangulaire avec un toit en tôle à proximité du tata ou parfois sur la terrasse.

Tata tamberma, Togo

La construction en banco disparaît au profit du béton dans les tata modernes, l’échelle est remplacée par des escaliers, la paille des toits par du béton ou de la tôle. C’est le cas de l’hôtel « tata somba » à Natitingou et de deux tata privés à Boukoumbé et à Koaba (à 17 km de Boukoumbé). Le tata moderne donne au propriétaire une certaine notoriété. Il est considéré par les autres comme un homme riche, un homme de pouvoir.

Les Somba étaient à l’origine des chasseurs. Ce métier occupait une place prépondérante dans leur vie ; mais les animaux devenant de plus en plus rares, ils se sont résignés à l’agriculture.

Actuellement, la vie dans les tata est réglée par les saisons : la saison sèche est consacrée à la construction des tata ou à leur restauration, à la chasse (cependant, ils mangent rarement de la viande en dehors des fêtes et des sacrifices) et aux diverses cérémonies traditionnelles. La plus importante est le difoni qui permet à l’adolescent de devenir un adulte. Il lui confère un nouveau statut et lui donne droit au mariage.

Le tata somba est une habitation originale qui résiste tant bien que mal aux techniques de constructions modernes ; mais pour combien de temps ? Les constructions en banco diminuant d’année en année, nous pensons qu’il est urgent de réagir afin de sauvegarder ce patrimoine culturel. Au Togo, l’ensemble des tata tamberma encore appelé le koutammarkou ou « Pays où l’on construit en pétrissant la terre humide » a été inscrit en 2004 sur la liste des sites classés du patrimoine mondial de l’UNESCO en tant que « paysage culturel vivant ».

Notes

[1Le Burkina Faso, anciennement Haute Volta jusqu’au 4 août 1984 est un Etat Ouest africain. Burkina Faso signifie « Pays des hommes intègres » en langues peulh et more. Il a accédé à l’indépendance le 5 août 1960. Ce pays est limité au nord par le Mali et le Niger, au sud par La Côte d’Ivoire, le Ghana et le Togo, à l’est par le Bénin et le Niger, et à l’ouest par le Mali. Sa superficie est de 274 120 km2. Ouagadougou, la capitale, compte de nombreux immigrés africains. Le pays est peuplé de plus de 13,5 millions d’habitants. La langue officielle est le français mais on y parle aussi le more, le peulh, le dioula, le gourmantché et le sénoufo.

Le Burkina Faso est un pays agricole. Mais depuis 1985, le secteur minier tend à se développer à tel point que l’or est devenu le deuxième produit d’exportation après le coton.

[2Bariba : ethnie du nord-est du Bénin.

[3Harmattan : vent d’est froid et sec qui souffle sur l’Afrique de l’Ouest, en général de septembre à février.


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