N° 77, avril 2012

Regard sur la fête de Norouz :
traditions des Perses


Hélène Beury, Shahzâd Madanchi


Norouz, de Hossein Sheikh, œuvre conservée au Musée du Palais Golestân

Depuis le 23 février 2009, l’UNESCO a fait de Norouz une journée internationale figurant dans la liste de l’héritage culturel du patrimoine mondial. Sur son site Internet, il décrit Norouz en ces termes : « Le Novruz, ou Norouz, Nooruz, Navruz, Nauroz, Nevruz, marque le nouvel an et le début du printemps dans une zone géographique très étendue, comprenant, entre autres, l’Azerbaïdjan, l’Inde, l’Iran, le Kirghizistan, le Pakistan, la Turquie et l’Ouzbékistan. Il est fêté chaque 21 mars, date calculée et fixée à l’origine en fonction des études astronomiques. » [1]

Le mot « Norouz » est composé de deux morphèmes : "Now" et "rouz" qui signifient "nouveau" et "jour". Il s’agit du nom attribué à la plus grande fête iranienne. Cette fête coïncide avec le premier jour du printemps (21-22 mars), au moment où le soleil entre dans le signe du bélier, le premier signe du zodiaque.

A propos des origines de cette fête, les chercheurs ont plusieurs avis, qui parfois divergent quelque peu, mais trouvent tous leur origine dans des rites et traditions ancestrales persanes. Selon les traditions iraniennes mythiques et zoroastriennes, Norouz est le jour où Dieu créa l’univers. [2] Il marque la renaissance. C’est également le jour de la création de Gayumarth [3], le premier roi mythique dans le Shâhnâmeh [4] de Ferdowsi, qui fut plus tard assimilé à Adam. [5]

D’après Omar Khayyâm [6] dans son œuvre Norouz-nâmeh qui signifie "Lettre du nouvel an", "la raison de l’apparition de Norouz vient du fait que le soleil a deux cycles : l’un d’eux est celui de 365 jours, un quart au terme desquels il revient à zéro degré du signe du bélier, le même jour et à la même minute où il l’a quitté." [7] C’est la raison pour laquelle chaque année dure 365 jours.

D’après le récit du Shâhnâmeh de Ferdowsi, grand poète iranien du Xe siècle, promoteur de la langue et de la culture persane, Norouz correspond au jour du couronnement du mythique roi perse Djamshid : "Il fit un trône digne d’un roi, et y incrusta toute sorte de pierreries ; et à son ordre les Divs [8] le soulevèrent et le portèrent de la terre vers la voûte du ciel. Le puissant roi y était assis comme le soleil brillant au milieu des cieux. Les hommes s’assemblèrent autour de son trône, étonnés de sa haute fortune ; ils versèrent sur lui des joyaux, et donnèrent à ce jour le nom de jour nouveau/ Noeurouz (sic) : c’était le jour de la nouvelle année, le premier du mois Ferverdïn. En ce jour, le corps se reposait de son travail, le cœur oubliait ses haines. Les grands, dans leur joie, préparèrent une fête… et cette glorieuse fête s’est conservée, de ce temps jusqu’à nous, en souvenir du roi." [9]

Bas-reliefs représentant la lutte entre le lion et la vache, Apâdânâ, Persépolis

Le Shâhnâmeh relate que le guerrier Djamshid s’était toujours battu contre le mal. C’est à l’issue victorieuse d’une grande bataille qu’il fut couronné roi, apportant la liberté et la paix à son peuple. C’est ainsi que la date du couronnement du roi devint une fête, Norouz, qui fut célébrée chaque année au palais de l’Apadana [10]. Cependant, dans la plupart des textes anciens persans, Djamshid, l’empereur pishdadien de la Perse, est cité comme le fondateur de cette fête.

Il est aussi intéressant de savoir que les symboles de Norouz et du nouvel an iranien, véritables œuvres architecturales, peuvent aujourd’hui encore être admirés sur les murs de Persépolis. Ils sont les témoins de la renaissance et du renouvellement de la Nature. Il s’agit de deux animaux : le lion et la vache. Selon les archéologues, le premier est le symbole de la chaleur et du soleil et l’autre le symbole du froid, de la lune et de la nuit. Ces gravures sur les murailles des escaliers du palais de l’Apadana nous montrent la bataille entre un lion et une vache, dans laquelle il semble que c’est le lion qui va vaincre. La victoire du lion est l’emblème du Norouz et l’arrivée du nouvel an. Sur le reste des gravures figurent des troupes armées rassemblées autour du roi achéménide ; elles fêtent la fin du froid et de l’hiver.

Détails de la lutte entre le lion et la vache, Apâdânâ

A partir de tous ces récits, il apparaît que le nouvel an iranien et la fête de Norouz puisent leurs racines dans les traditions ancestrales du territoire iranien. Dans ce territoire multi ethnique, les gens sont toujours heureux de l’arrivée du nouvel an et continuent chaque année à fêter ce changement de la nature avec leurs propres traditions qui peuvent légèrement varier d’une ethnie iranienne à l’autre. Parmi ces différentes traditions, nous nous concentrerons sur les symboles traditionnels et les cultes du nouvel an chez les Iraniens qui commencent habituellement par :

Tchâhâr Shanbeh Souri

Le dernier mardi soir de l’année solaire (au mois de mars) est célébré par les Iraniens par une fête appelée Tchâhâr Shanbeh Souri, que l’on pourrait traduire par « mercredi enflammé ». Toutes les familles et tous les voisins sortent dans la rue, allument des feux et sautent par-dessus. C’est l’occasion d’un grand rassemblement populaire chez les Iraniens pour fêter ce jour ensemble. De grands feux sont allumés. La coutume est de sauter par-dessus, comme le font les catholiques à la Saint-Jean, pour prendre la force des flammes.

Durant le "mercredi enflammé", les Iraniens allument des feux et sautent par-dessus pour se débarrasser de leurs maux et gagner la force, la pureté et la vitalité du feu

Ils disent « zardie man az to, sorkhie to az man », ce qui signifie « je te donne ma couleur , tu me donnes ta couleur », en référence à la puissance du feu. Cette croyance remonte à l’époque zoroastrienne, en Perse. Les zoroastriens pensaient que sauter par-dessus le feu leur permettrait de se débarrasser de leurs maladies et d’acquérir la force vitale du feu, symbole de santé et de bien-être. Cette fête du feu est accompagnée d’une série de cérémonies et de traditions populaires parmi lesquelles nous pouvons citer le fait d’offrir des sucreries connues sous le nom de âjil-e moshkel goshâ, mélange de noisettes, de pistaches, de noix, de raisins secs, de mûres blanches séchées etc. Ces sucreries sont les symboles de la santé et du bonheur partagés durant l’année passée.

Âjil, mélange de fruits secs, est omniprésent sur les tables durant Norouz

Une autre tradition encore plus ancienne consiste à casser des pots en terre pour chasser la mauvaise fortune. On l’appelle en persan kouzeh shekastan.

Ce même jour, les enfants ont pour habitude de se déguiser, de parcourir les rues de leur quartier avec un pot et une cuillère sur lesquels ils frappent bruyamment et d’aller chez leurs voisins pour demander des sucreries ou des bonbons. D’après le linguiste iranien et auteur du dictionnaire de langue persane ’Ali Akbar Dehkhodâ, cette tradition vient du fait qu’autrefois, certaines femmes sonnaient aux portes de leurs voisins pour leur demander de la nourriture, et se déguisaient afin de ne pas être reconnues par ceux-ci.

Durant le "mercredi enflammé", les enfants se déguisent et tapant sur des casseroles, frappent à la porte des voisins pour recevoir des sucreries et des petits cadeaux

Dans les rues, les derniers jours avant le nouvel an, il est aussi possible de rencontrer Hadji Firouz, personnage traditionnel maquillé de noir et vêtu de rouge, muni d’un tambourin qui chante et danse en souhaitant ses bons vœux pour la nouvelle année.

De nos jours, en général, il ne s’agit que d’un musicien de rue, mais il est encore un symbole de l’arrivée de Norouz. Dans les villes, les hommes qui se déguisent en Hadji Firouz passent parmi les voitures devant les feux rouges en dansant et en chantant : Hadji Firouzeh sâli yek rouze ; littéralement : « c’est Hadji Firouz, il ne passe qu’une fois par an ». Les gens leur donnent alors des pièces de monnaie afin de les aider en cette veille de nouvel an.

Le Hâdji Firouz, personnage traditionnel de Norouz

Le nouvel an arrive avec le printemps

Les fêtes de Norouz sont préparées dès le dernier mois de l’hiver, les Iraniens font alors un grand nettoyage dans les maisons afin d’accueillir au mieux la nouvelle année. Tout d’abord, dès le début du mois de mars, on fait germer des lentilles ou du blé dans une assiette qui, une fois levés, formeront un petit tapis haut d’une dizaine de centimètres et que l’on ceinturera d’un ruban de couleur plutôt rouge. Pour ce faire, on prend les lentilles ou le blé que l’on dépose dans une assiette puis que l’on couvre avec un chiffon ou du coton et que l’on conserve dans un endroit relativement abrité à l’intérieur. Quand les germes apparaissent, on découvre les assiettes : c’est ce qu’on nomme sabzeh, symbole le plus important de Norouz, comme le sapin de Noël chez les chrétiens.

Durant cette période se déroulent aussi les cérémonies des achats de Norouz, achats qui doivent se faire en famille et qui consistent avant tout en l’achat d’habits neufs, spécialement pour les enfants. On achète également des produits et des aliments qui vont servir pour le jour même de Norouz. Durant les derniers moments précédant le passage à l’année suivante, c’est-à-dire la veille du nouvel an, les rues sont très animées. Le lendemain, le 1er Farvardin (21 mars), 1er jour de la nouvelle année, débutent les traditionnels ’eïd didani, « les visites de famille ». Selon les traditions, c’est toujours aux plus jeunes d’aller rendre visite aux personnes les plus âgées de la famille. En allant rendre visite aux grands-parents, aux oncles et tantes de leur famille, les enfants reçoivent des cadeaux ou parfois de l’argent.

Toute la famille se réunit autour du plat traditionnel du 1er jour de Norouz : sabzi polo bâ mâhi. Il s’agit d’un plat de riz avec des herbes hâchées et parfumées comme du persil, de l’aneth et de la ciboulette. Ce plat est toujours servi avec du poisson et un plat de koukou sabzi, sorte d’omelette aux herbes (ce sont les mêmes herbes que pour le sabzi polo).

Le sabzi polo, accompagné de koukou sabzi, riz et omelette au poisson et aux herbes, est le plat traditionnel du Premier jour de l’An

Les haft sin

La tradition principale de Norouz est la disposition des haft sin. Il s’agit de sept éléments dont le nom commence par la lettre "s" ou sin de l’alphabet persan. On les dispose sur une nappe sur la table et ils y restent jusqu’au 13e jour après le nouvel an.

Le sabzeh, l’un des sept "s" ou éléments annonciateurs de l’an nouveau

Le plus souvent, on décore la table avec d’autres objets tels que des œufs colorés (symbole de fertilité), des bougies (bonheur), des poissons rouges (vie), ainsi qu’avec le Coran, le Divân de Hâfez ou le Shâhnâmeh et un miroir. Voici quelques objets avec lesquels les Iraniens décorent leur table de haft sin [11] :

sabzeh - germe de blé ou lentille poussant dans un plat (symbole de la renaissance)

sir - ail (symbole de la médecine)

samanou - crème très sucrée faite avec des germes de blé (symbole de l’abondance)

senjed - fruit séché du jujubier (symbole de l’amour)

somâq - baies de sumac (symbole de la couleur du lever du soleil et santé)

sib - pomme (symbole de la beauté et bonne santé)

serkeh - vinaigre (symbole de l’âge et la patience)

sonbol - jacinthe (symbole de l’arrivée du printemps)

sekkeh - pièces de monnaie (symbole de la prospérité et de la fortune)

Le sofreh-ye haft-sin, (la table des Sept "S"), symbolisant le Nouvel An

Sizdah bedar

Norouz dure douze jours. Le 13e jour que l’on l’appelle sizdah bedar veut dire « passer le treizième jour à l’extérieur ». Les familles sortent pique-niquer pour profiter de l’arrivée du printemps ; il s’agit d’une sorte de grand pique-nique. La plupart des gens sortent de chez eux pour partir dans un parc et passer la journée dans la nature. D’après les Iraniens, cela porte bonheur durant toute l’année. Les membres d’une même famille mangent ensemble et discutent lors de ce pique-nique dans la nature pour terminer la fête.

Le 13e jour de la nouvelle année, les Iraniens sortent de chez eux pour pique-niquer - Photo:A. Shirâzi

ہ la fin de cette journée, les sabzeh cultivés pour le haft sin (symbole censé retenir les s et la malchance) sont jetés dans de l’eau courante, par exemple dans une rivière pour faire disparaître la maladie et la malchance de l’année qui est en cours.

Les jeunes filles souhaitant se marier font un nœud avec des brins d’herbe

Il est également coutume chez les jeunes filles célibataires de faire un nœud dans le gazon des parcs avant de partir afin d’exprimer leur souhait de se marier avant le sizdah bedar de l’année suivante.

A la fin du 13e jour de la nouvelle année, les sabzeh sont jetés à l’eau

Références bibliographiques :
- A. Rouhbakhshân, « Quelques notes sur la fête de Nowrouz », in Luqman, 1990-1, Téhéran, P.U.I., pp. 103-110.
- Hâshem Râzi, Nourouz l’histoire du passé jusq’à nos jours, 1980, Téhéran, éd. Forouhar.
- Ardeshir Azar Goshasb, Les cultes et les traditions des fêtes de l’Iran ancien, 1977, Téhéran, éd. Roshdiyeh.
Sitographie :
- http://anthropology.ir
- http://iranshahr.org
- http://iran.blog.lemonde.fr
- http://fr.wikipedia.org
- http://www.unesco.org
- www.jamejamonline.ir
- rasekhoon.net
- ashpazkhuneh.persianblog.ir

Notes

[2A. Rouhbakhshan, Luqmân, p. 103.

[3Un nom avestique mythologique.

[4Littéralement « le livre des Rois ».

[5Op.Cit., p. 104.

[6Ecrivain et savant né au XIème siècle à Nishâpour en Perse.

[7Op.Cit., p. 105.

[8Démon.

[9Op.Cit., d’après une traduction du livre des rois par Jules Mohl.

[10Une salle de trône qui devient le palais des rois à l’époque achéménide.


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5 Messages

  • Regard sur la fête de Norouz :
    traditions des Perses
    20 mars 2013 23:41, par harun güngör

    Je vous remercie pour votre infomation
    Si pouvez- vous m)envoyer un livre a l’interet de Norouz/ Nowruz ou Avesta en langue persique
    J’attends votre rreponse
    Avec mes salutatıons distinguees
    Harun

    Güngör

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  • Regard sur la fête de Norouz :
    traditions des Perses
    4 avril 2015 13:44, par ahmed.taleb@sympatico.ca

    Happy new year Nourouz,

    The more you learn the less you know
    so i learned something today about the persan new year !

    Thank you so much

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  • Regard sur la fête de Norouz :
    traditions des Perses
    1er mars 2016 21:47, par macaigne

    Norouz c’est le nouvel an iranien
    C’est une fête millénaire
    C’est le premier jour du printemps que l’année commence
    Toujours le premier jour du printemps
    Ce mois de mars tous les jours c’est la fête
    Les iraniens à (Chahar Shambeh Soury )
    Ils sautent sur les feux
    Le feu est trés important en IRAN
    Merveilleuse fête Norouz
    Merci pour vos articles ,

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  • Regard sur la fête de Norouz :
    traditions des Perses
    22 mars 2016 11:56, par bahrami irad

    merci LOUIS
    EXCELLENT ARTICLE
    NOUS VOUS SOUHAITONS UNE TRES BONNE ANNEE1395 IRANIENNE
    JALEH ET IRADJ

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  • Regard sur la fête de Norouz :
    traditions des Perses
    26 mars 2016 15:12, par Marie Meghdadi

    Mille merci Louis
    Pour l’attention que vous portez toujours sur l’Iran , pour le souvenir que vous avez gardé de notre pays et surtout pour présenter notre visage réel au monde .

    Souhaitons que la nouvelle année iranienne sera une heureuse année de paix pour le monde entier .

    Marie
    ( que malgré son prénom français est une desendante de l’empire de Perse ... )

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