N° 77, avril 2012

L’école des hakims en Iran


Shahâb Vahdati


Situé au croisement de la Grèce et de l’Inde, l’Iran sut développer durant son histoire une science médicale nourrie à la fois de l’enseignement de ces deux grandes civilisations.

Il arrive souvent que l’expression de « médecine traditionnelle » soit perçue comme ayant une dimension commune ou grossière. Il n’en demeure pas moins que les grands représentants de cette pratique en Iran comme Avicenne, Rhazès, Majoussi et Gorgâni n’avaient pas fondé leur science sur les croyances du peuple. Bien au contraire, cette dernière était le fruit d’un travail acharné n’ayant jamais été délaissé mais assidument poursuivi et transmis au cours des siècles des maîtres aux disciples, puis repris et complété à chaque pas pour devenir ce qu’elle est aujourd’hui.

Avicenne

En 2003, l’association médicale américaine publia un article tenant un simple médicament comme l’ibuprofène pour responsable du décès de près de 7600 personnes par an aux Etats-Unis. Il vaut bien donc prendre au sérieux cette guerre contre l’humanité qu’est celle des molécules chimiques, et qui satisfait par ailleurs des appétits commerciaux.

Les méthodes des hakims ("sages" en arabe et persan) ainsi que la base théorique de leur enseignement sur la prévention, l’étiologie, la thérapie et les connaissances pharmaceutiques s’enracinent dans un empirisme systématisé d’observation minutieuse et itérative des cas.

Certes, les propretés curatives des aliments et substances naturelles étaient depuis bien longtemps connues. Certains enseignements proviennent de la civilisation mésopotamienne des sémites. En outre, le Coran évoque la propriété curative du miel et les Iraniens musulmans, strictement attachés à son authenticité, s’y sont appuyés pour l’insérer au sein de leur système médical.

Bien avant Claude Bernard et ses études physiologiques, Avicenne présenta de nouvelles méthodes expérimentales destinées à être un critérium essentiel permettant de tester la validité des hypothèses scientifiques. Il établit un diagnostic afin de révéler la nature contagieuse des maladies infectieuses, en proposant un isolement similaire à la quarantaine pour délimiter sa transmission par l’intermédiaire de l’eau potable ou par le sol. Il fut aussi l’un des premiers à parler des maladies de peau, des paraphilies, des troubles neurologiques, ou encore à développer une méthode curative qui utilise la glace pour guérir la fièvre.

La séparation survenue entre la médecine et la pharmacologie fut sans doute un désastre dans l’histoire de la médecine ayant pour ainsi dire rompu l’interaction entre le médecin et le pharmacien.

Avec l’édification des sociétés modernes, les démarches expérimentales ont graduellement remplacé celles basées sur des croyances primitives. Les Grecs furent les fondateurs d’un système médical basé sur la théorie des humeurs dont l’objectif essentiel consistait à redonner au corps l’équilibre des humeurs. Des théories similaires ont également été présentées en Chine et en Inde. En Grèce, pourtant, la médecine cherchait à garantir la santé sur la base du régime alimentaire et de l’adoption des mesures hygiènes strictes. Les sciences anatomiques étaient limitées, les méthodes et interventions chirurgicales inefficaces ou totalement absentes, et la guérison dépendait plutôt du pouvoir d’exercer une influence positive sur le patient que d’une connaissance scientifique proprement dite.

Rhazès

L’exemple suivant donne une perspective historique de l’histoire de la médecine, retraçant le retour de l’humanité à son point de départ au terme d’une période de 4000 ans :

-Ah ! Docteur, j’ai mal à l’oreille !

-Prend cette racine combustible ! (2000 av. J.-C.)

Cette racine est sale, fais cette prière ! (1000 av. J.-C.)

La prière n’est que superstition, prends cette tisane ! (1850)

Cette tisane est toxique, prends ces pilules ! (1940)

Ces pilules ne sont pas efficaces, prends ces antibiotiques ! (1984)

Les antibiotiques sont des produits artificiels pernicieux, prends cette racine combustible ! (2000)

Lorsqu’elle évoque les raisons essentielles de l’obésité, outre l’accumulation de la graisse due à la gourmandise ou à la boulimie, la médecine traditionnelle cite également la constipation et le tempérament flegmatique correspondant à la pituite ou lymphe rattachée au cerveau et qualifiée par l’élément "eau". Elle considère l’homme apathique et imperturbable comme le principal sujet potentiel à l’obésité. De même, elle considère qu’une maigreur excessive dépend aussi du tempérament. Les quatre humeurs peuvent ainsi jouer un rôle décisif dans la formation corporelle, la taille et la corpulence. Tout facteur augmentant l’humidité du corps peut favoriser le surpoids provenant d’une masse adipeuse ou musculaire, selon que l’individu atteint soit de nature flegmatique ou sanguine.

Depuis des années, l’hyperthermie est un problème grave et suscite, durant des canicules, un nombre considérable de décès dans les sociétés modernes. Afin de mieux résister à une telle situation, la médecine traditionnelle propose un breuvage à base de vinaigre et de miel qui fait disparaître la bile jaune et diminue les inflammations gastriques. Si on y met des grains ou de la racine de chicorée, cela deviendra une boisson très bénéfique pour ceux qui souffrent de crampes d’estomac et de maux de foie ou de flatulences, mais elle sera nuisible pour les personnes atteintes d’un ulcère de l’estomac.

Références :
- Dariyâd Najafi, Hossein, Tebb-e sonnati-e Irân (La médecine traditionnelle iranienne), Andisheh, 1389 (2010).
- Salavâti, Avât, Ghiyâdarmâni (L’herboristerie), Kalâm-e Sheydâ, 1375 (1996).
- Farbodi, ’Ali, Dânestani-hâye pezeshki (Encyclopédie médicale), Baghiatolla, 1380 (2001).
- Jazâyeri, Ghiyâsaddin, E’jâz-e khorâki-hâ (Le miracle des aliments), Amir Kabir, 1379 (2000).


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