N° 90, mai 2013

Arrivera-t-il quelque chose ?
Nouvelle de Nâder Ebrâhimi publiée dans l’ouvrage
Hezârpây-e siâh va ghesseh-hâye sahrâ
(Le mille-pattes noir et les récits du désert)


Anâhitâ Sâdât Ghâemmaghâmi


Nâder Ebrâhimi est un écrivain iranien contemporain né le 3 mars 1936 à Téhéran et mort le 6 juin 2008. Il grandit dans une famille aisée et effectua ses études primaires et secondaires à Téhéran. Son grand-père, gouverneur de Kermân et opposant au régime de Rezâ Shâh, fut exilé à Meshkin-Shahr où il passa le reste de sa vie. Comme son grand-père, Nâder Ebrâhimi était également contre le régime royaliste du Shah. A l’université, il commença à étudier le droit mais passionné de littérature, il abandonna l’université pour s’y consacrer. Plus tard, il commença à étudier la langue et la littérature anglaises. Il avait néanmoins commencé à écrire dès l’âge de 16 ans. Du fait de ses orientations politiques et de celles de sa famille, il fut arrêté plusieurs fois par la Savak (ministère des renseignements sous le Shâh) alors qu’il était très jeune. A l’âge de 27 ans, il publia son premier livre, Khâneh’i barâ-ye shab (Une maison pour la nuit). Jusqu’en 2001, Ebrâhimi a écrit plus d’une centaine d’articles, nouvelles et critiques ainsi que plus d’une centaine de romans pour enfants et adultes. Ses écrits sont très variés : scénarios, pièces de théâtre, livres de jeunesse et surtout livres pour enfants. Son style, comme ses écrits, est très varié. Du romantisme au réalisme, et du symbolisme au surréalisme, il a exprimé ses idées modernes au sujet des problèmes sociaux. Il fut le premier à inaugurer une organisation privée destinée à présenter la riche culture de l’Iran et l’histoire de la Perse antique. Ebrâhimi a consacré sa vie à écrire pour les enfants et a réalisé d’importantes recherches sur la façon dont les enfants sont traités en Iran. Il a obtenu le prix du Festival Asiatique ainsi que celui du Festival de Bratislava pour enfants, et a reçu aussi un prix de l’UNESCO pour une méthode d’enseignement qu’il avait mis en place. Son chef-d’œuvre Atash-e bedouneh doud (Le feu sans fumée) est le plus célèbre de ses écrits en Iran. Un autre ouvrage intitulé Hezâr pây-e siâh va qesseh-hâye sahrâ (Le mille-pattes noir et les récits du désert) écrit en 1971 est également très connu, et rassemble différentes nouvelles.

Dans cet ouvrage, Ebrâhimi retrace ses souvenirs et parle de ses idées sociales et politiques. La nouvelle "Ayâ ettefâghi khâhad oftâd ?" (Arrivera-t-il quelque chose ?) esquisse la vie d’un journaliste et écrivain qui, après avoir été arrêté par la Savak, est retourné chez lui avec de grandes souffrances. L’histoire se déroule dans une ambiance à la fois réaliste et surréaliste. Le héros sans nom ni identité se souvient de ce qui lui est arrivé et en renouvelle l’ambiance en retraçant son histoire sous la forme d’un puzzle. Du réel au surréel et au travers de flash-back, Ebrâhimi fait entrer son lecteur dans une ambiance très étrange, comme les nouveaux romanciers des années 1960 et 70 en France.

Enfin, après six mois, je me suis levé de mon lit. Au moment où le soleil n’était pas encore levé, j’ai tapé avec mes doigts à la fenêtre. La femme de mon père est venue, m’a regardé. Je lisais sur son visage la peur et la joie.

J’ai dit : « Je veux me lever. »

Elle m’a dit : « Non, ce n’est pas une bonne idée, tes douleurs vont peut-être revenir. »

J’ai dit : « Non, elles ne reviendront pas. Je veux marcher, marcher. »

Ma sœur cadette était restée debout et son corps bougeait en harmonie avec les mouvements de mon corps délicat, comme si elle était mon ombre. Mon frère cadet, d’une autre chambre, cria : « Qu’est-ce que notre frère veut faire ?! »

La femme de mon père dit : « Lève-toi et viens ! Il veut marcher. »

Mon frère prit l’une de mes mains et ma sœur l’autre, la femme de mon père vint m’aider par derrière. Je me suis levé. Je n’avais plus de douleurs, mais mes pieds s’étaient raidis. Je marchais à petits pas. Les enfants riaient et criaient : « Notre frère peut marcher ! » Je leur dis : « Ne criez pas. » Mais leurs cris s’étaient répandus dans la cour voisine. Le voisin qui, tout au long de ces six mois, m’avait fait des piqures sans réclamer d’argent, vint sur le pas de la porte, me regarda et me dit de faire attention, sinon les douleurs allaient revenir.

-Non, elles ne reviendront plus.

Mais je n’avais pas de raisons pour dire cela. Peut-être allaient-elles revenir.

Après six mois, je pouvais me tenir debout. J’étais fatigué de l’odeur nauséabonde de l’urine, fatigué de tout. Durant ces six mois, personne n’était venu me rendre visite. Les gens avaient peut-être peur. Ils avaient raison. Mais je me demandais pourquoi, pourquoi avaient-ils raison ? Parfois, la femme de mon père me demandait : « Où sont tes amis ? » Et je répondais : « Eux aussi, comme moi : en voyage, je ne sais pas. »

J’eus envie de manger quelque chose de sucré, des choux à la crème. Je dis : « Je veux aller manger des choux à la crème. »

Ma sœur dit : « Nous aussi. »

Et mon frère ajouta : « Apporte-nous-en aussi. »

L’histoire s’était échappée de mon esprit. C’était bizarre, étrange. Je n’avais ni plan, ni mot pour écrire. On m’habilla. Mes vêtements étaient devenus trop larges pour moi, comme s’ils appartenaient à un frère aîné que je n’avais jamais eu. Arrivera-t-il quelque chose ? Je me mis en marche et les enfants me suivirent jusqu’à la rue principale. Je marchais lentement et doucement. En me voyant, le boucher vint à la porte de son magasin, me dit bonjour et ajouta que… et le marchand de volailles remâcha également les mêmes mots. J’avais mangé un demi-poulet ou un poulet entier par jour, est-ce que nous lui devions de l’argent ? Enfin, ça a été le tour d’Hassan Bandari, à la fois mendiant et porteur, qui faisait le ménage à la fête de Norouz et qui était habituellement dans la rue, de me dire aussi : « Bonjour ». Je pense que ma famille avait fait le vœu de lui servir un repas gratuit, si je restais vivant.

Ils m’aidèrent, je montai dans le taxi et juste au moment où nous arrivâmes dans les rues bruyantes, je racontai au chauffeur de taxi toutes mes souffrances. Je lui dis comment, durant ces six mois, je n’avais pas pu bouger et ce qui m’était arrivé. Je lui racontai aussi que tout mon corps était couvert de plaies. Il me donna le nom de deux médecins et ajouta : « Ils font des miracles », et que je ne sais plus quels frères de quels membres de la famille de sa femme avaient été guéris par ces deux médecins.

Je lui dis : « C’est fini ». Il me dit : « Grâce à Dieu ». Je suis descendu sans réclamer ma monnaie, les quatre rials qui restaient, peut-être pour que notre amitié dure.

Arrivera-t-il quelque chose ? Je savais bien que j’étais dans la rue pour trouver un récit.

La nuit était toute en couleur et on voyait bien que les gens eux aussi étaient en couleur et marchaient à grandes enjambées. Un homme avec sa valise se frayait un chemin parmi les piétons. « Un homme avec sa valise ». Arrivera-t-il quelque chose ? Même dans mon esprit ? Même dans les recoins de mon esprit, arrivera-t-il quelque chose ? Cet homme avait peut-être raté son train et il voulait le rattraper. Je collai ma tête contre les vitres du train. Les gens étaient arrêtés, mais c’était leur tête qui marchait. Je pense que les gens ont soif de voir. Leurs mains s’agitaient dans l’air. « Ils ont certainement trouvé leurs passagers. » La nuit, ils se rassemblent et causent, et c’est en se rassemblant que le directeur reconnaîtra son nouveau vice-directeur, le vendeur son client, le cheval sa mangeoire et l’entremetteur un autre entremetteur. Un homme reconnaîtra une femme, l’assoiffé la carafe d’eau, et un enfant sa poussette pour s’y asseoir et regarder les minutes vides et colorées qui défilent. J’ai cherché mais personne n’était venu m’accueillir à la gare. J’avais écrit que je viendrais, mais personne n’était venu. Le porteur dit : « Valise ? » Je dis : « Non ». J’étais ébahi. Un éléphant et trois soldats. Non… ce jeu d’échecs était dès le début une erreur. Je regardai encore une fois à travers la vitre et du regard, je distinguai les personnes qui attendaient. Je les repoussai et cherchai. Personne n’était venu. L’homme a besoin, toujours, d’une personne qui attend. Je passerai la nuit dans un hôtel et demain matin, j’y retournerai. Au moins, ils seront inquiets pour moi. La sirène du train siffle et je m’assieds à côté de la fenêtre. Les gens achètent les journaux que j’ai lus la veille. En voilà un nouveau, les lettres d’imprimerie sont en caractères noirs de taille 48, j’essaie de le lire. L’homme tient le journal à l’envers. Tant pis. J’appelle le serveur, je paye le café et, boitant, je sors du café. Tant pis. J’ai dit qu’il n’arriverait plus rien. Qu’il arrive quelque chose. Non, c’est fini. Pour les gens qui roulent en Peykan [1], tout événement suffit. Les événements se passent seulement dans notre imagination. Quelle liberté rébarbative et affreuse ! J’irai aussi loin que possible dans la réalité, toujours plus loin, j’irai jusqu’à un monde sans état de siège de l’esprit, j’arriverai à un monde sans loi ni contre loi. Et qui détruit, tout, facilement. Et Khayyâm : « Si tu arrivais aux cieux… les Dieux seraient ruinés et sans pouvoir ». J’essaye encore, en une minute, d’imaginer une aventure. C’est horrible que l’esprit se limite lui-même. Alors il se recueille et il a peur. Une femme et un homme. Un événement. Quel événement ? Quel amour ? Quelle haine ? Quelle séparation ? Qu’est-ce qu’il est en ruine, mon esprit ! Papa- longues-jambes, maman-courtes-jambes, poulet-courtes-pattes. C’est mieux. Au moins ces histoires sont des tromperies folkloriques. L’homme passait encore avec sa valise. C’est plutôt stupide d’aller et venir avec sa valise dans cette cohue. Je voulais baisser la vitre et crier : « Imbécile ! », mais elle ne se baissait pas. Le porteur dit : « Valise ? » je lui répondis : « Je n’en ai pas ». J’avais seulement un petit sac que je portais moi-même.

On sentait l’odeur de friandises chaudes. Le vendeur en offrait des poignées. Je m’étonne. Mais comme le dit Oscar Wilde : « Seuls les imbéciles s’étonnent. » Un soldat va prendre une poignée de friandises et revient. Il ne veut pas en acheter.

Ses bottes sont larges. Les piétons, les piétons : un éléphant et trois soldats. Il n’arrivera rien, c’est sûr. Il avait perdu et moi j’étais ébahi. Je l’ai regardé sourire. Il souriait à la manière des fous. Même si je ne pouvais pas protéger le roi avec un éléphant, il ne fallait pas qu’il rie de cette façon. D’ailleurs, le sourire était le début de l’aventure. Non… ce jeu était, dès le début, une erreur. Mais moi, je ne l’avais pas commencé. Comme le vieillard a compris qu’il ne pouvait pas gagner, il s’est levé, calmement, et a dit : « Je suis fatigué » et m’a mis à sa place, vraiment à sa place. Tout le monde s’était rassemblé autour du cadavre d’une mouche. J’entendais qu’ils balbutiaient et montraient le bon chemin. Quel chemin ? Avec trois soldats et un éléphant ? Même le vieillard qui s’était levé, fatigué, était debout et ordonnait comme un dieu tout-puissant. Non… ce jeu était, dès le début, une erreur. Mais je ne l’avais pas commencé. Auparavant, quand le vieillard perdait, je jouais à alak dolak [2]. J’étais perdu et c’était un échec dont le poids était très lourd pour moi. Il avait raison, le type, de sourire comme un fou. Le rire était le début du travail. Trois soldats passent à côté de moi. Empty uniformes. Je crois que c’était le nom d’un film. Le récit d’un commandant, peureux et sans pouvoir, et des soldats courageux et braves. Une guerre de prouesse mais sans commandant. La victoire des soldats, et leur mort causée par la faute du même commandant. Ils savaient bien qu’ils avaient fait la guerre sans leur commandant, et le retour victorieux du commandant et la médaille de bravoure sur l’uniforme de celui-ci…

Je connais l’un des soldats, une main se lève.

"-Oh ! Où étais-tu ? Je ne t’ai pas vu depuis longtemps ! Comment vas-tu ?

-J’étais paralysé. Torture, tu n’étais pas au courant ?

-Non… ben, alors, comment ça va ?"

En regardant le col de son uniforme, il se souvient de ses mémoires et en retire un cahier dont il feuillette les pages : « Oui, nous sommes allés tirer au sort pour le service militaire, nous étions sur le point d’être exemptés. Malheureusement, notre sort c’était le zéro. Avant, quand on tirait au sort, c’était le numéro sept mais aujourd’hui, c’est le zéro, je suis devenu simple soldat. Le soir, on boit. Hassan est là aussi. Taghi, Akbar, Dja’far et Mahdi, Houshang aussi. Ils sont tous là. Nous jouons aux échecs. Non… ce jeu était, dès le début, une erreur. Il avait perdu et mon roi était seul et perplexe.

J’entendais les murmures : « Va prendre position derrière le soldat d’infanterie ! Sauve-toi ! Sauve-toi ! » J’ai crié : "Laissez-moi tranquille ! Pourquoi m’avez-vous entouré, un cadavre à disséquer… Je ne suis pas une souris pour votre laboratoire ! Au moins, laissez-moi tranquille maintenant, afin que je puisse choisir mon chemin... Et toi, vieillard, laisse-moi tranquille ! Toi qui n’as pu jouer, toi qui n’as voulu subir l’échec, va-t’en…"

Et le vieillard nous quitta. Il partit mourir. J’eus pitié de lui, je demandai sa signature et quelques mots pour garder un souvenir de lui. Comme je l’aimais ! Mais juste au moment où je devais réfléchir, je suffoquais ; on aurait dit qu’un mur, un grand mur solide pesait sur mes sentiments et je ne pouvais plus rien distinguer. Je dis : « Je ne peux pas marcher. » Mais lui était toujours en train de feuilleter son cahier. Cette mémoire paralysée : les cartouches en plastique ne sont pas dangereuses. On marchait et nos pieds étaient blessés. Dans trois mois, nous irons en province. Je souhaite qu’il ne fasse pas chaud. Oui, j’ai vu quelqu’un. A Shirâz ? Tranquillité, poésie, livres. Et les soirs, nous rions beaucoup. Se lever de bonne heure est dur. Nous cousons des cols. Nous essuyons le sol. Je me suis disputé avec le garde. Ce n’est pas si mal… ça passe...

J’ai dit à mon ami : « Là non plus, il n’est rien arrivé ? »

Il a répondu : « Arriver quelque chose ? »

Je lui dis : « Je ne peux plus marcher …Je dois m’asseoir. »

Je m’assis à côté de la fenêtre et regardai la mer qui s’éloignait et s’en allait entre les bois. Pourquoi personne n’était venu me chercher ? Peut-être qu’ils savaient. Mais ils devaient se demander pourquoi j’avais perdu, pourquoi je m’étais enfui. Les journaux l’avaient écrit. Certainement, ils le savaient. Mais il fallait le demander, pourquoi, pourquoi j’étais perdant. S’ils étaient venus m’accompagner, je ne serais pas paralysé, seul dans la forêt. Je suis revenu. Je monte doucement les escaliers en m’appuyant au mur. J’ouvre la porte. Les tables sont rangées et on a disposé les échiquiers. Il n’y a plus d’adversaire. Au fond de la salle, un homme somnolent a penché la tête d’un côté. Je vais le secouer. Il lève la tête et me regarde avec mépris. Je lui demande avec peur :

-"Personne ne vient jouer ?

-Non, personne.

-Pourquoi ?

-Oh… laisse-moi tranquille… toi et ton jeu !

-Mais ce n’était pas ma faute à moi. C’étaient eux qui n’avaient pas respecté les règles du jeu.

-Tu pouvais ne pas accepter. N’importe quel imbécile ne peut changer l’Histoire. Tu pouvais crier et dire que tu ne pouvais pas continuer un jeu déjà perdu. Il y avait tant de tables libres. C’est ta propre faute. Tu voulais faire partie du groupe perdant. C’était plus exaltant. Tout le monde le sait. Si tu avais gagné, ça aurait été un triomphe bruyant. C’est toi qui as mis fin au jeu. C’est toi qui n’as pu le terminer correctement.

-Moi, crois-moi, c’est par respect pour le vieillard que je me suis assis. Il n’avait rien. Si, il avait un cheval. Mais le pauvre, il ne pouvait pas gagner. On a tiré sur le cheval et il s’est agenouillé. Je me suis remis en marche à côté des trois autres soldats. Je voudrais bien que les autres ne se moquent pas du vieillard.

-A quoi bon toutes ces paroles ? Moi, je ne suis pas historien. Tu as tout gâché. Tu as raté et en plus, tu ne t’es pas sauvé. Peut-être que tu aurais eu une autre chance ou que ton adversaire aurait fait des fautes en jouant.

-Oui, je me suis enfui, mais personne n’était venu m’accueillir. Je suis retourné dans ma propre ville, dans ma propre forêt, dans ma propre montagne.

-اa ne veut rien dire… rien dire… tu es un perdant dont les yeux sont fixés sur le respect infime des autres. C’est toujours par pitié qu’on respecte un perdant. C’est quémander la pitié des autres.

-Si tu dis ça, d’accord, peu importe."

Je m’étais mis à pleurer. J’ai vu que la salle était tout à fait vide… vide. Un homme, au fond de la salle, sur une chaise somnolait. Tout était en ordre. Doucement, je me suis approché de l’homme et j’ai mis ma main sur son épaule.

"-Personne n’est là.

-Non, aujourd’hui c’est fermé.

-Et les autres jours, il y aura beaucoup de monde ?

-Oui, mais pourquoi pas ? Plus qu’auparavant."

Je sentis qu’une vague de joie remplissait mon cœur.

"-Alors ce mauvais échec risible, plein de caprices n’a eu aucun effet ?

-Quel échec monsieur ?

-Celui que le vieillard avait commencé."

Il ne s’en souvenait même pas.

Il me dit en souriant : "Mon vieux… Chaque nuit des centaines perdent ou gagnent, mais le jeu continue. Venez jouer monsieur."

Je lui dis : « D’accord, je viendrai, certainement, je viendrai ».

A côté des escaliers, je me retourne et demande à haute voix : « Quelque chose est-il arrivé ces jours-ci ? »

"-Quelque chose ? Non.

-Merci."

Je retourne dans la rue et je vois qu’un tissu jaunâtre et sale est étendu sur les objets et les gens. A chaque pas, je dois tirer ce voile jaune pour passer. Un brouillard jaune ? Non. La rue était pleine de la matière lisse et gluante de la peur. Un vieillard s’y glisse et tombe. Les piétons mécontents rient. Quelqu’un lui prend le bras : « Monsieur, faites attention ! C’est très glissant. »

"-Toute ma vie j’ai fait attention. اa ne suffit pas ? Je suis à la retraite.

-Oh là là ! Quel courage inutile et affligeant !"

Le vieillard secoue ses vêtements et se remet en marche. Pour prendre un taxi, je m’appuie contre un poteau. Les gens passent, portant des valises. Les enfants avec de grosses valises et les vieillards et les jeunes avec de petites valises et de petits sacs. Je demande à un vieillard qui porte un petit sac : « Ce n’est pas lourd ? »

"-Non, soyez-en sûr, ce n’est pas lourd.

-Je vous prie, laissez-moi vous aider.

-Non, non, ce n’est pas lourd."

Le vieillard rit, lance son sac en l’air et le rattrape. Les piétons déprimés rient. Je prends un taxi et donne l’adresse. Je ne parle plus des douleurs de mes jambes - seulement celles de mes jambes !?- l’histoire de ces six mois. Le chauffeur roule en silence et parfois injure un conducteur ou un piéton.

"-Sauve-toi ! Sauve-toi ! Derrière les piétons !

-A la gare, au retour d’un voyage inutile, quand je suis descendu, ils m’attendaient."

Les agents avec leurs lunettes, les scélérats. Si je ne m’étais pas retourné, s’ils étaient venus m’accueillir… et si je m’étais caché pendant quelques minutes derrière les piétons... mais c’était inutile. Quand j’ai vu le revolver braqué sur mon cœur, je me suis dis : « J’ai perdu. » L’un d’eux m’a dit : « Dis tout ça là-bas ! »

Je lui ai dit : « Certainement. » Je dis au chauffeur : j’étais parti en voyage pendant six mois !

-Je comprends.

-Pendant ces six mois rien n’est arrivé ?

-Quelque chose ? Oh… si, on a installé des taximètres.

-Oh… enfin l’événement, un événement qui devait arriver. Est-ce que je ne peux pas le développer comme un récit ?

Tant pis pour le récit. Je voudrais bien qu’il n’existe pas. L’essentiel, c’est d’être en bonne santé, le reste importe peu.

Je me rappelle que j’ai oublié d’acheter des choux à la crème pour ma sœur et mon frère cadets. Mains dans le dos, je retourne en boitant acheter des choux à la crème à la pâtisserie du coin.

Notes

[1Nom d’une voiture iranienne.

[2Nom d’un jeu traditionnel iranien.


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