N° 62, janvier 2011

Les différents styles de calligraphie islamique et iranienne


Monireh Sadat Borhani, Sarah Mirdâmâdi


La calligraphie islamique

La calligraphie peut être considérée comme l’art le plus éminent des pays islamiques, ainsi que le langage artistique commun des musulmans. Elle a toujours eu une importance particulière en ce qu’elle figure la Parole divine révélée. Cet art n’est pas seulement utilisé pour le Coran mais est aussi présent dans de nombreux autres domaines artistiques et non-artistiques comme la correspondance, l’écriture d’ouvrages…

La calligraphie islamique renferme une variété de styles et de méthodes ainsi que divers instruments que l’on appelle kelk, khatt ou qalam. Cet art continue d’occuper une place importante dans la majorité des pays musulmans. Nous présentons ici les styles calligraphiques les plus importants.

Style coufique (koufi) : ce style est apparu et s’est développé dans la ville de Koufa (Irak) dont est issu son nom. La taille des lettres les unes par rapport aux autres est organisée selon un système de points. Le style coufique comporte les points diacritiques (c’est-à-dire les points que l’ont met sur certaines lettres de l’alphabet arabe) ainsi qu’une vocalisation, cependant, dans la plupart des textes écrits dans ce style, seules les lignes des lettres sont calligraphiées sans points diacritiques. Les premiers Corans ont étés écrits dans ce style. Avec l’arrivée du style naskh et des autres styles, notamment iranien, le style coufique a eu tendance à être progressivement abandonné.

Style coufique, calligraphie de la sourate "Mohammad".

Style bannâ’i ou ma’gheli : ce style de calligraphie islamique est l’une des variétés de style coufique à angle et est obtenu en dessinant des figures géométriques telles que le carré, le triangle, le rectangle, ainsi que des lignes parallèles et perpendiculaires. Le style bannâ’i est un style non ornementé et géométrique issu du style coufique, qui a été créé sur la base de carreaux. La base de ce style consiste ainsi en des lignes verticales et horizontales d’une épaisseur unique qui se croisent de façon à ce que les lignes du motif calligraphique occupent l’ensemble de la surface lui étant allouée.

Le mot bannâ’i évoque l’idée de bâtiment et de construction, ce style étant très utilisé dans l’architecture islamique.

Style bannâ’i (façade et coupole), Imâmzâdeh Mohammad Mahrough, Neyshâbour.

Le mot ma’gheli se prononce aussi mo’aqqeli, faisant ainsi référence au fait que le calligraphe doit utiliser sa pensée et son intellect (’aql) pour tracer les lignes de façon appropriée. Si on le prononce ma’gheli, ce mot aurait alors une racine persane qui signifie "mur" ou "grand abri".

Le style bannâ’i ou ma’gheli a surtout été utilisé à l’époque seldjoukide pour décorer les bâtiments et en particulier les mosquées, puis à l’époque des Ilkhanides et des Timourides qui marquèrent le développement de la calligraphie en Iran. Ce style fut ensuite utilisé sur les différentes surfaces intérieures et extérieures des édifices religieux, ainsi que pour décorer les iwâns, les différents arcs, ainsi que les minarets. Ce style est encore utilisé actuellement dans l’architecture, l’artisanat, le graphisme… L’exemple le plus connu est "Allah Akbar" (Dieu est grand) que l’on trouve sur les bords du drapeau iranien. Parmi les exemples historiques les plus fameux de ce style, on peut évoquer la cour intérieure de la mosquée de Goharshâd à Mashhad, le tombeau de Sheikh Safi Ardebili à Ardebil, l’Imâm zâdeh Mahrough à Neyshâbour…

Style bannâ’i sur les bordures du drapeau iranien, calligraphie de "Allah Akbar" (Dieu est grand).

Style naskh : ce style, créé au début du XIe siècle par Ibn Moghleh, était aussi célèbre que le fut le style coufique. Ce style était inspiré, entre autres, des écritures coptes et syriaques. Ce style se répandit et fut utilisé dans la majorité des pays islamiques. Il était notamment largement utilisé par les Iraniens pour recopier des manuscrits.

Style naskh, page du Coran

Style sols (tholth) c’est l’un des styles le plus important de calligraphie qui fut créé par Ibn Moghleh au XIe siècle. La structure de ce style est statique et imposante. Le sols est surtout utilisé dans la décoration des livres et tablettes. En Iran, ce style est utilisé pour écrire le titre des sourates du Coran, les quatrièmes de couverture, ainsi que les tablettes ou les inscriptions sur de la céramique. Son utilisation demeure courante dans ce pays.

Style sols, calligraphie d’Ibn Moghleh

Style mohaghagh : ce style fait partie des styles "brisés" (shekasteh) et fut systématisé par Ibn Moghleh. Certains calligraphes considèrent le style mohaghagh comme étant le père des styles de calligraphie islamique. Le mohaghagh est le style le plus proche de l’écriture coufique simple, où la forme des lettres est régulière et épaisse, avec des écarts réguliers et sans que les différentes lettres se recoupent les unes les autres.

Style mohaghagh, sourate "Al-Nâs".

Style reyhân : ce style dérivé du style mohaghagh se caractérise par sa finesse et la petitesse de ses caractères. Il a toutes les caractéristiques du style mohaghagh mais est plus fin, c’est pour cela qu’il est comparé à la fleur et à la feuille de basilic (reyhân en persan). Ce style a été inventé notamment pour la facilité de son écriture et pour pouvoir être écrit plus rapidement que le mohaghagh.

Style reyhân, page du Coran.

Style towghi’ : ce style de calligraphie islamique fut inventé à l’époque du calife abbasside Ma’moun et fut complété au XIIe siècle. Il est généralement utilisé pour les signatures, d’où son nom de towghi’ signifiant "l’action de signer" en arabe. On retrouve ce style dans les écrits gouvernementaux et religieux les plus importants. Du point de vue de la forme, il ressemble aux styles sols et reghâ’. Les lettres du style towghi’ sont cependant plus épaisses que celles du reghâ’, et ses courbes moins appuyées.

Style divâni : ce style de calligraphie islamique est utilisé de façon relativement courante dans les pays arabes. Il fut créé par Hessâm Roumi. Le divâni fut largement utilisé dans l’Empire ottoman, notamment sous le règne de l’empereur Soleymân 1er. On appelle aussi ce style "khafi" (caché) s’il est exempt d’ornementations et de vocalisation, et "jali" (apparent) s’il est accompagné d’ornementations et vocalisé. Calligraphier dans ce style demande beaucoup de temps et de patience.

Style divâni, calligraphie de Kakayi.

Style reghâ’ : le reghâ’ fait partie des styles "cassés" (shekasteh) de calligraphie islamique. Il est avant tout utilisé pour les correspondances privées sur du papier de format réduit, ou encore pour écrire des livres ou des manuels non religieux.

Ce style était largement utilisé par les calligraphes ottomans. Le Sheikh Hamdollah al-Amâsi lui apporta certaines modifications et corrections au Xe siècle. Le reghâ’ fut ensuite simplifié par d’autres calligraphes pour ensuite devenir le style roq’eh, qui est l’un des styles les plus utilisés actuellement au sein des pays arabes. Ce style est une combinaison entre les styles naskh et sols et ressemble beaucoup au style towghi’, la seule différence étant l’épaisseur plus importante des lettres écrites en style towghi’. Le style reghâ’ était beaucoup utilisé par les scribes du fait de la possibilité de l’écrire rapidement ou encore pour la rédaction d’ouvrages non-religieux.

Style sols et reqâ’, calligraphie de Hâji Maghsoud Tabrizi, XVIIIe siècle.

Style roq’eh : ce style se situe entre les styles naskh et divâni. Roq’eh signifie "joindre" ou "faire se rencontrer". Le roq’eh fut largement utilisé au sein de l’Empire ottoman, puis dans l’ensemble des pays musulmans où il demeure largement employé. Il y est surtout utilisé en tant qu’écriture cursive et standard, et à dans ce sens la même importance et place que le style nasta’ligh en Iran. Le style roq’eh est l’un des styles les plus faciles de calligraphie, dont la maîtrise permet également d’apprendre facilement le style divâni.

Style roq’eh, sourate "Al-Qadr", calligraphie de Mohammad Ali Kâteb Gharavi.

Style toghrâ : c’est un style de calligraphie relativement compliqué que l’on utilisait pour écrire les noms et surnoms des sultans et princes sur les édits et lois au Moyen Orient. Les sultans ottomans ont plus particulièrement utilisé ce style pour leur signature. Le toghrâ est composé d’un assemblage de lignes verticales se terminant en arc entrant les uns dans les autres.

Style toghrâ, signature de l’empereur ottoman Soltân Mahmoud II.

Style sini : ce style de calligraphie sino-islamique est parfois appelé "calligraphie islamique" du fait de la finesse de ses lignes. On trouve ce style avant tout dans les mosquées chinoises, et le plus fameux calligraphe de ce style fut Hâji Nouroddin Mey Gangdjiang.

Style sini.

La calligraphie iranienne

La calligraphie iranienne, une branche de la calligraphie islamique, est la calligraphie propre au territoire d’influence de l’Iran, c’est-à-dire l’Iran, les pays qui ont dépendu de l’Iran, les royaumes d’Asie Mineure sous influence iranienne, et partiellement le subcontinent indien. La calligraphie iranienne fait partie des arts islamiques les plus éminents. Les Iraniens eurent un rôle déterminant dans l’évolution de cet art, et ont peu à peu inventé des styles uniques qui sont appréciés dans l’ensemble des pays arabes. Cependant, l’essentiel de ces styles sont restés avant tout utilisés en Iran et dans des pays voisins ayant été sous influence iranienne.

La calligraphie iranienne a atteint son apogée sous la dynastie timouride. Mir ’Ali Tabrizi créa alors le style nasta’ligh en associant les styles naskh et ta’ligh. La plupart des styles iraniens sont utilisés pour calligraphier des textes non religieux comme les recueils de poésie, des objets d’art divers ou encore pour la correspondance administrative. En Iran, les styles sols ou naskh sont davantage utilisés pour décorer les mosquées ou les madreseh. Les Iraniens ont ainsi été à l’origine des principaux styles calligraphiques suivants :

Style ta’ligh ou tarassol : Ce style est l’un des premiers à avoir été inventé par les Iraniens, sans doute vers le milieu du XIVe siècle, par une combinaison des styles towghi’ et reghâ’ mais aussi sous l’influence des styles calligraphiques iraniens préislamiques.

Style ta’ligh, calligraphie de Aboulfazl Sâvoji, XIXe siècle.

On peut donc considérer le ta’ligh comme étant le premier style calligraphique iranien pour le persan écrit en caractères arabes. Le mot ta’ligh signifie en arabe "mélanger une chose avec une autre". Il ne fait pas figurer la vocalisation.

Ce style se manifeste par l’entrelacement des lettres et son absence de régularité, les lettres étaient parfois grandes, et parfois petites. Cela donne la possibilité d’une grande créativité au travers d’assemblages de différentes formes. Le ta’ligh était le plus souvent pratiqué par des calligraphes ayant une grande maîtrise de leur art. Il fut beaucoup employé dans les cours durant près d’un siècle pour la correspondance administrative et officielle, avant d’être peu à peu délaissé à la suite de l’apparition du nasta’ligh. Le ta’ligh fut donc un prélude à l’apparition de ce dernier style.

Style nasta’ligh : ce style calligraphique est apparu en Iran où il demeure l’un des styles les plus utilisés par les calligraphes iraniens actuels. Il est considéré comme étant le second style iranien après le ta’ligh et fut créé à l’époque timouride par Mir ’Ali Tabrizi. Il est connu comme "style farsi" dans les pays arabes.

Style nasta’ligh, œuvre de Rezâ Sheikh Mohammadi.

Au XVIIIe siècle, Mir ’Emâd fut le calligraphe le plus célèbre d’Iran et porta ce style à sa perfection. Il fut aussi utilisé pendant plusieurs siècles à la cours indienne et ottomane, et de nombreuses œuvres précieuses furent écrites dans ce style en Inde. Après une période de déclin, avec l’apparition de l’imprimerie et de la lithographie à l’époque qâdjâre, ainsi que le desserrement des liens entre les calligraphes et les maîtres traditionnels, le nasta’ligh connu certaines modifications. A partir du XVIIIe siècle, le siyâh-mashgh, qui permettait au calligraphe d’entraîner sa main devint lui-même une sorte d’art qui atteignit son apogée au XXe siècle. Le nasta’ligh se caractérise par son harmonie et ses formes rondes, la présence de lignes droites où les angles sont rares. La vocalisation y est également absente sauf en cas de nécessité. Ce style est surtout utilisé pour écrire des textes littéraires, des poésies ou des lettres. Il demeure très peu utilisé pour calligraphier des textes religieux comme le Coran ou même les hadiths et invocations. Il semble ainsi particulièrement adapté pour retranscrire toute la subtilité de la littérature persane.

Style shekasteh nasta’ligh : il est l’un des styles le plus récent de calligraphie islamique et le troisième style iranien qui fut créé au début du XVIIIe siècle. Comme la plupart de ses formes proviennent d’une sorte de "cassure" du style nasta’ligh, il est connu comme "shekasteh nasta’ligh" (nasta’ligh cassé). Ce style contient certains aspects du style ta’ligh et permet d’être écrit rapidement. Ce style peut être considéré comme un pont entre la facilité d’écriture du ta’ligh et la beauté et la subtilité du nasta’ligh.

Style shekasteh nasta’ligh, firmân de Fath’Ali Shâh qâdjâr, 1831.

Style mo’alla : ce style fut inventé en 1999 par Hamid ’Ajami. Il est utilisé dans de nombreuses œuvres graphiques ou publicités ayant un contenu religieux.

Style mo’alla, calligraphie de Hamid Ajami.

Naghâshi-khatt (peinture-calligraphie) : ce style de peinture moderne et de calligraphie moderne iraniennes fut créé dans les années 1950 et 1960 par certains peintres et calligraphes iraniens, pour être ensuite diffusé dans plusieurs pays voisins. Il peut être considéré comme une sorte de fusion entre l’art pictural et calligraphique. Ce style fait désormais partie du paysage de l’art contemporain iranien.

Naghâshi-khatt, "Bismillah" (Grâce au nom de Dieu), œuvre de Mostafâ Salimi.

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