N° 174, hiver 2021

L’aspect écotouristique du projet de la protection des tortues marines dans l’île de Qeshm


Saeid Khânâbâdi


Détroit de Keryân, Qeshm

Se distinguant de l’ambiance consumériste des modèles industrialisés, le tourisme s’adapte aujourd’hui aux principes du développement durable. Conscient des risques du tourisme de masse pour la nature, l’homme veut désormais établir une relation gagnant-gagnant avec la Terre-Mère. Parmi les diverses branches touristiques, l’écotourisme se veut être le pionnier du respect de l’environnement et des préoccupations écologiques en réduisant à zéro les effets négatifs de la fréquentation des touristes sur les sites naturels. Les tendances croissantes de l’écotourisme au XXIe siècle sensibilisent la société à propos des impacts nuisibles du tourisme de masse sur les sites visités. Les partisans du tourisme vert donnent la priorité à la sauvegarde des réserves naturelles et des espèces sauvages. Ce tourisme moralement engagé se préoccupe aussi du bien-être social et culturel des communautés qui vivent dans les éco-destinations. D’après cette approche, les touristes et les habitants locaux coopèrent en vue de promouvoir la préservation de l’environnement des sites visités. Les défenseurs de l’écotourisme responsable mettent en relief surtout le rôle que les habitants locaux doivent jouer dans le développement durable de leur région. Dans ce sens, le tourisme n’est plus considéré uniquement comme une source de revenus financiers pour les États ou les grands investisseurs du secteur privé. L’écotourisme invite à partager les bénéfices matériels et immatériels entre les propriétaires et la population locale, surtout dans les zones rurales et moins développées.

Île de Shidvar

Au-delà des aspects financiers, le tourisme rural a aussi pour soucis la création d’emplois pour les sociétés locales, l’éducation des femmes dans les villages, ainsi que le maintien et la revalorisation des traditions et folklores des zones touristiques. Dans cette méthode de gestion touristique, l’État cède une partie de ses pouvoirs et responsabilités aux habitants locaux pour qu’ils aient à leur tour un sentiment de responsabilité à l’égard des attractions touristiques de leur région. Par exemple, si les habitants des villages du massif de Zagros sentent que les forêts de chênes de leur environnement naturel peuvent servir à l’amélioration de leurs conditions de vie, ils s’engageront automatiquement à la protection des zones forestières de leurs régions montagneuses en proie chaque année à des incendies volontaires tragiquement destructifs.

En effet, parallèlement à cette importance que l’écotourisme accorde aux habitants des zones touristiques, il insiste aussi sur la protection de l’environnement. À vrai dire, la première mission selon laquelle se définit l’écotourisme est, nous l’avons évoqué, de protéger la nature. Cette tendance est bien soutenue par les institutions internationales comme The International Ecotourism Society (TIES) et le Global Ecotourism Network et United Nations World Tourisme Organisation (UNWTO). En Iran, l’Organisation iranienne de la protection de l’environnement et le Ministère du Patrimoine culturel, du Tourisme et de l’Artisanat encouragent les programmes écotouristiques qui contribuent à la protection de la faune et de la flore. En Iran, cet engagement environnemental est heureusement partagé ces dernières années par les activistes écotouristiques des différentes couches sociales.

Île de Nakhilou

La création des écolodges (éco-hébergements) dans les zones rurales, la lutte contre la pollution industrielle de l’air et de l’eau, les campagnes contre la chasse illégale, la protection des espèces en danger d’extinction, la lutte contre l’urbanisation des zones montagneuses, l’organisation de tours de Birdwatching (observation ornithologique) dans les espaces humides, ou encore la sensibilisation des touristes sur la nécessité de respecter la nature constituent une partie des activités des militants iraniens de l’écotourisme durant ces dernières années. Bien que parfois certains clichés socioculturels aient limité les acquis de ces activistes iraniens de la cause écologique, en général, le bilan de l’écotourisme en Iran est assez positif depuis les années 2000, de sorte que même les institutions internationales actives dans ce domaine l’apprécient officiellement.

Parmi les exemples réussis des efforts conjoints de l’écologie et du tourisme dans la protection de la nature iranienne, nous pouvons citer le projet de sauvetage des tortues à bec de faucon dans les îles du golfe Persique. Le succès de ce projet est le résultat d’une coopération exemplaire entre les organisations gouvernementales, les activistes bénévoles, les institutions onusiennes et les habitants locaux de cette région.

Aujourd’hui, les quatre îles iraniennes de Shidvar, Nakhilou, Kish et Qeshm abritent des sites de conservation des tortues imbriquées mais ce projet a commencé initialement dans un petit village au sud de l’île de Qeshm. Cette tentative de protection de la faune du golfe Persique a été lancée par la direction de l’Organisation de la protection de l’environnement de l’île de Qeshm et les habitants du village de Shib-Derâz, et a été soutenue financièrement par le Programme de Micro Financements du Fonds pour l’Environnement Mondial (PMF/FEM) administré par le PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement). Grâce à ce projet, le village de Shib-Derâz à Qeshm est aujourd’hui l’une des attractions écotouristiques très fréquentées au sud de l’Iran. Ce projet écologique a pu donc contribuer au développement économique de cette localité moins favorisée de la province de Hormozgan.

Les tortues à bec de faucon, village de Shib-Derâz

Les côtes sableuses du village de Shib-Derâz au sud de l’île de Qeshm dans le golfe Persique constituent l’un des sites naturels de nidification des tortues imbriquées connues plutôt en Iran sous le nom de tortues à bec de faucon. Ces tortues marines habitent souvent près des récifs coralliens abritant les éponges de mer, leur nourriture préférée. Ces animaux sont les descendants des reptiles qui vivaient sur terre il y a 100 millions d’années. Les tortues à bec de faucon constituent un maillon fondamental des écosystèmes maritimes et contribuent au maintien des récifs coralliens du golfe Persique. À l’âge adulte, elles s’éloignent du littoral et se rendent dans les eaux lointaines des océans, mais pour se reproduire, elles nagent des centaines et parfois des milliers de kilomètres pour nidifier sur les côtes sableuses où elles sont nées. Il est possible de retrouver leurs sites de nidification sur les côtes de l’océan Indien depuis l’Afrique de l’Est jusqu’à l’Indonésie. Mais dans la région de l’Asie de l’Ouest, ce sont les îles iraniennes du golfe Persique qui constituent leur destination principale.

Les tortues à bec de faucon se distinguent par rapport aux autres tortues marines par certaines caractéristiques physiques. Le bord de leur carapace est dentelé à cause de leurs écailles superposées. Les écailles de ces tortues sont naturellement décorées par différentes couleurs et divers motifs. C’est justement ces belles carapaces qui rendent les tortues à bec de faucon très recherchées sur les marchés des pays côtiers de l’océan Indien, bien que leur vente soit interdite au titre de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES). Le commerce des carapaces ou la consommation de chair de tortue n’existent pas en Iran du fait des croyances culturelles et religieuses des Iraniens. En revanche, dans les îles du golfe Persiques, le danger qui menaçait autrefois ces tortues concernait l’habitude des habitants locaux de consommer leurs œufs. En effet, les villageois de Qeshm attribuaient des vertus médicinales aux œufs de ces tortues. Aujourd’hui, cette habitude n’existe plus et les œufs des tortues à bec de faucon sont en sécurité sur les côtes iraniennes.

Les tortues à bec de faucon, village de Shib-Derâz

Mais cette espèce est encore en danger dans les autres pays de la région. En effet, la tortue à bec de faucon est la tortue marine la plus menacée dans le monde. La pollution des océans et la pêche commerciale à filet maillant et à longue ligne aussi ont participé à diminuer la population de ces animaux. La tortue à bec de faucon risquait de disparaître définitivement dans le golfe Persique avant d’être sauvée par les habitants du village de Shib-Derâz. Cette campagne de sauvetage a été lancée en 2002 à l’initiative de Bijan Farhang Darreshouri, directeur de l’Organisation de la protection de l’environnement de l’île de Qeshm, qui est l’un des experts internationalement reconnus dans le domaine de la faune du plateau iranien. Darreshouri est également le fondateur du géoparc de Qeshm. Comme indiqué plus haut, la structure onusienne PNUD a aussi soutenu ce projet pour l’aspect financier. Cette structure internationale a également organisé un atelier de formation professionnelle pour les femmes du village de Shib-Derâz en vue d’améliorer les conditions de vie des habitants de l’île de Qeshm. Mais le rôle principal dans ce projet a été joué par les jeunes du village de Shib-Derâz qui sont aujourd’hui en première ligne des actions de protection de la faune et de la flore du golfe Persique. Ce village est ainsi devenu un lieu du contrôle des perturbations naturelles et humaines sur la plage où les tortues imbriquées nidifient. Chaque année, de mars à mai, les tortues imbriquées viennent pondre sur les côtes de l’île de Qeshm. Après environ deux mois, les œufs éclosent et les petites tortues de deux centimètres sortent du sable. C’est au cours de cette période que les jeunes du village de Shib-Derâz se mettent à surveiller les côtes sud de l’île en vue de protéger les œufs des tortues. Une zone de protection de 30 mètres carrés est définie où les œufs pondus sont déterrés et transférés. La surface de cette zone de protection a été même doublée ces dernières années.

Village de Shib-Derâz

Après le lancement de ce projet, des milliers de touristes sont venus à l’île de Qeshm lors de la saison de nidification des tortues femelles et de celle de l’éclosion des œufs. Cela a ouvert des opportunités d’emploi aux habitants du village de Shib-Derâz qui fournissent des services de transport, d’hébergement et de restauration aux écotouristes passionnés par la nature du golfe Persique. Certains jeunes travaillent également en tant que guides touristiques ou opérateurs d’excursions en bateau. L’achat d’objets artisanaux par les touristes constitue aussi une autre source financière pour les habitants du village de Shib-Derâz. À noter que les femmes de ce village utilisent les motifs liés aux tortues à bec de faucon dans la décoration de leurs produits artisanaux.

Île de Kish

Grâce aux efforts des habitants du village de Shib-Derâz de Qeshm, chaque année, entre 4000 et 5000 petites tortues à bec de faucon rejoignent en toute sécurité les eaux bleu azur du golfe Persique. Suite au succès de ce projet, plusieurs sites de conservation de cette espèce en danger d’extinction ont été créés dans les autres îles de la province de Hormozgan.

Aujourd’hui, grâce à cette intervention écologique conjointe du gouvernement, des habitants et des institutions internationales, les tortues à bec de faucon ne sont plus menacées. Chaque année, des milliers de touristes iraniens et étrangers se rendent désormais au village de Shib-Derâz afin d’assister à la scène extraordinaire de la naissance des petites tortues.

Bijan Farhang Darreshouri

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