N° 9, août 2006

Introduction à la peinture des Qâdjârs


Aïdin Aghdashlou
Traduit par

Helena Anguizi


Les peintures qâdjâres, vieillent de cent cinquante ans, datent du règne de la dynastie du même nom qui régna durant de longues années sur le territoire iranien. Cependant, contrairement à une idée reçue, la floraison de cette forme d’expression artistique a eu lieu bien avant l’arrivée au pouvoir du Roi Mohammad Khân Qâdjâr. C’est en effet à partir de la seconde moitié du XIIème siècle de l’hégire lunaire que les artistes ont pris goût à ce style de peinture, donc le succès diminua environ quarante ans avant l’extinction de ladite dynastie.

Ce courant artistique doit sa naissance à l’atmosphère du règne de Karim Khan Zand qui dura trente ans. A cette époque, Chiraz fut proclamée capitale, et pour une courte durée, la stabilité et la sécurité ont permis aux artistes et aux admirateurs de la peinture de s’y réunir. C’est durant cette même période que le courant dit Zandieh, rendu célèbre par les travaux des meilleurs artistes peintres de la première moitié du XIIème siècle, prit une véritable ampleur. Les grands peintres de la cour de Fath-Ali Khan Qâdjâr, optèrent tous pour ce courant artistique, et produisirent de sublimes œuvres picturales ; la période qâdjâre devint ainsi l’une des plus brillantes étapes de l’évolution de l’art iranien, après la fabuleuse époque de l’art Safavide.

Simultanément au développement du colonialisme européen mais aussi à l’évolution socio culturelle, l’arrivée au pouvoir de Nassereddin Chah Qâdjâr a également eu des retombées sur la peinture qâdjâre. De cette époque date les voyages à l’étranger des peintres qui avaient préalablement bénéficié d’une formation académique. Ce fut le cas pour Abolhassankhan Sani ol-Molk, Mazinodoleh, et bien d’autres. A cette occasion, le courant initié par Fath-Ali Chah, perdit progressivement de son lustre. Bien que la peinture officielle de la cour de Nassereddin Chah, avait respecté au départ les règles et les conventions artistiques précédentes, l’apparition d’une nouvelle génération de peintres en 1280 de l’hégire lunaire entraîna et renouvela en partie cette forme artistique. En effet, ces derniers ne respectaient plus scrupuleusement la voie tracée par leurs aînés. Le plus célèbre de ces innovateurs fut Mohammad Ghafari, plus connu sous le nom de Kamalolmolk qui, sauf exception, ne resta pas fidèle à ses maîtres.

Les cent cinquante années de peinture qâdjâre prirent fin au terme du règne d’Ahmad Chah.

La principale phase de la peinture dite Zand ou bien Qâdjâr, se développa aux environs de 1160 de l’hégire, avec le grand maître et artiste peintre, Sadegh, et se poursuivit moyennant quelques modifications, jusqu’au décès d’une autre grande figure appartenant à cette lignée : le peintre Abolhassan Ghafari Sani ol-Molk.

La seconde phase prit naissance à partir de la deuxième moitié du XIIIème siècle et se prolongea jusqu’à la fin du règne de Mozzafareddin Chah.

Portrait de Nassereddin Chah, peinture à l’huile

La première période de la peinture qâdjâre, qui fut aussi la plus authentique, a donné naissance aux innombrables dessins et fresques du XIème siècle, époque du règne de Chah Abbas. L’un des grands artistes de ce temps, Réza Abbassi a préparé le terrain à des peintres qui, en cherchant à prendre leur distance vis-à-vis du type de peinture en vogue, se sont tournés vers la peinture indienne et européenne. Cette nouvelle source d’inspiration apporta son lot de nouveaux motifs, la peinture à l’huile, et accorda une attention particulière à la perspective. Cette nouvelle tendance de l’époque Safavide rendit de son côté le terrain propice à l’émergence des fameuses peintures Zand et Qâdjâres, grâce aux travaux, entre autre de Mohammad Zaman et bien d’autres.

Les cinquante années de règne du roi Fath-Ali Chah, offrirent aux célèbres peintres de sa cour l’occasion d’étudier soigneusement des artistes qui les précédaient. Mehr Ali, Mirza Baba, Mohammad-Hassan et Abdollah, qui étaient tous des peintres de génie, créèrent un modèle pictural à la fois équilibré et simple, avec toutefois une parfaite concordance de couleurs qui aujourd’hui encore laisse les amateurs d’art pantois.

Si la première période que nous venons d’évoquer a connu un réel succès, si elle entra dans les annales au titre d’une des époques les plus brillantes de l’art, il n’en fut pas de même pour la deuxième période qui elle, partagée entre l’art européen d’une part et la peinture traditionnelle, ne parvint guère à produire des œuvres convaincantes. En effet, compte tenu de l’instabilité sociale, politique et culturelle de ces années-là, l’art iranien avait peu de chance de s’épanouir. Fragilisé, son impact s’émoussa. Son déclin coïncida avec la victoire de la révolution constitutionnelle, qui fit place nette pour l’arrivée du modernisme.

Au début du XIIème siècle, les ateliers de peinture traditionnelle n’étaient plus que souvenirs. Une extraordinaire envie de représenter la curiosité de l’éphémère s’empara des artistes. Cette nouvelle tendance n’avait pourtant rien à voir avec les objectifs initiaux. Les toiles, en nombre illimité, s’adonnèrent à glorifier les jouissances éphémères, elles s’appliquèrent également à mettre en scène la pseudo grandeur de la famille royale dont l’égoïsme et le nombrilisme interféraient avec les normes sociales de l’époque, à l’intérieur aussi bien qu’à l’extérieur du pays.

La logique de l’instantané, n’avait que faire des idéaux nobles. On se contentait à titre d’exemple, de représenter d’agiles danseuses en position d’équilibre sur la lame d’un couteau. C’est dans le même droit fil que des sujets étaient empruntés aux contes mystiques ou aux histoires religieuses.

Les manuscrits illustrés de cette époque, quant à eux, ont peu de valeur, comparés à ceux du Xème siècle.

A cette époque, l’art, sans être à proprement parler anti-mythologique, entame petit à petit les légendes. La peinture a tendance à se transformer en simple passe-temps. Le travail quasi mystique du peintre, jusque-là tourné vers la découverte et la description du réel, se résume à des portraits d’ermites et de Derviches.

Attribué à Mohammad, femme au voile, 1845

Cependant, entre 1200 et 1250 de l’hégire lunaire, les peintures des Qâdjârs connaissent également une époque de véritable succès. Les coups de pinceaux magiques, l’incroyable mélange et l’harmonie des couleurs, l’extraordinaire équilibre des lignes tracées, l’ingéniosité dans les détails, la beauté, l’utilisation savante du vert, du rouge, du marron, du noir et du doré, le tout rendant compte de la créativité d’une longue et belle civilisation qui malgré les conflits politiques et culturels, tente par tous les moyens de garder son rang dans les arts et de transmettre ses acquis aux générations futures. Consciemment ou inconsciemment celles-ci délaisseront ce magnifique héritage au profit d’un autre. Pour en revenir à notre sujet initial, disons que l’image des rois Qâdjârs se nourrissait d’elle-même en se reflétant systématiquement dans l’art de la cour. Mais cet art illustre également une renaissance. Comparons deux toiles parmi d’autres pour rendre compte de ce phénomène : la première est de Mehr Ali, et la seconde de Kamal ol-Molk.

La toile de Mehr Ali, est un portrait en pied et de face du Roi Fath-Ali Chah, en habit officiel. Les vêtements du roi sont cousus dans une toile tissée de fil d’or et ornée de fleurs de cédrat. La jupe longue et la taille serrée constituent le costume officiel du monarque qui porte par ailleurs des chaussures à talons. La couronne impériale est posée sur son chef, sa main gauche sur sa hanche, et il tient dans sa main droite une longue canne, dotée à son extrémité d’une huppe, qui représente l’oiseau de Salomon. On peut voir sur les poignées et les avant- bras des bracelets ornés de pierres précieuses qu’on retrouve également sur la monture de sa longue épée et de son sabre. Il a des sourcils arqués, un nez aquilin, une petite bouche, une longue barbe noire et très soignée, sans oublier les ongles, décorés au Henneh, le tout symbolisant la virilité, la grandeur et la grâce, qui font la fierté du Roi Qâdjâr. Sur cette toile, le peintre ne cherche point à s’attarder sur les volumes. Seuls les joyaux sont valorisés grâce aux procédés du clair obscur. En réalité, si Mehr Ali recourt à la peinture à l’huile et à certaines astuces des naturalistes européens, autrement dit à la nouveauté, il reste toutefois fidèle à la technique des anciens dont les portraits étaient bidimensionnels.

Sur la toile intitulée "Galerie ou salle des glaces", à la réalisation de laquelle Kamalol Molk consacra cinq années entières, on peut voir Nassereddin Chah à l’intérieur de l’un de ses nouveaux palais. Le Roi, dans son apparat militaire est assis sur une chaise venue d’Europe, en plein milieu du salon, son épée sur les genoux et fixe les jardins du palais (Golestan). La lumière qui entre par les portes vitrées de la salle, illumine tous les objets qui entourent le roi. Ainsi le magnifique tapis, les lustres, les rideaux, les meubles, les miroiteries, les motifs en plâtre sur les murs et le plafond sont clairement visibles. Mais le roi lui-même se perd au sein de cette abondance d’objets et de décors. Il est vrai que dans cette peinture, la perspective n’est pas scrupuleusement respectée. Il n’en reste pas moins que l’artiste a fait preuve d’un talent certain pour rendre compte des détails de cette salle. La performance vaut toutes les photos en noir et blanc de l’époque.

Kamal ol-Molk, Takyeh Dowlat, 1880

Ces deux toiles marquent deux périodes distinctes, dans l’évolution de l’art qâdjâr.

Les deux rois représentés sur ces tableaux sont tous deux célèbres pour leur incontestable goût artistique. L’un et l’autre ont choisi leurs peintres de cour en fonction d’objectifs précis, voire personnels. C’est pourquoi aujourd’hui, on reconnaît en Fath-Ali Chah le symbole de la grandeur des rois iraniens et en Nassereddin Chah, celui d’un monarque oriental moderne.

Le langage officiel de l’art qâdjâr a certes beaucoup évolué en passant du second au quatrième roi de cette dynastie, et la traditionnelle représentation indigène a repris le dessus sur les modèles européens ; de ces changements, les causes sont évidemment à chercher dans les nombreux livres d’histoire consacrés à la dynastie qâdjâre.


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