N° 31, juin 2008

Mahine-dokht Azimâ :

le renouveau de la peinture sous-verre


Djamileh Zia


Dans l’appartement de Mme Azimâ, il y a beaucoup de tableaux sur les murs. La plupart sont ses propres œuvres, certains ont été offerts par des amis peintres qui étaient dans la même promotion qu’elle à la faculté des Beaux-Arts de l’Université de Téhéran.

I- Les études et les premières œuvres

Mme Azimâ est née en 1308 (1929) à Téhéran. La plupart des membres de sa famille sont artistes, professionnels ou amateurs. L’un de ses cousins (Manoutchehr Moti’i) fut un écrivain célèbre ; plusieurs de ses autres cousins peignent ou sont poètes. "Au lycée, j’avais toujours 20 sur 20 pour les cours artistiques ou les cours de travaux manuels", dit-elle. "Quand j’ai eu mon baccalauréat, je me suis inscrite à la faculté des Beaux-Arts sans hésiter. J’aimais peindre, et je savais que je ne voulais pas faire autre chose que cela. J’étais, semble-t-il, la quatorzième jeune fille qui entra aux Beaux-Arts de l’Université de Téhéran.

La faculté des Beaux-Arts n’était pas encore construite. Nos ateliers furent d’abord situés dans le sous-sol de la faculté d’Ingénierie. Puis on a construit un bâtiment dans la partie sud-est du campus de l’Université pour les étudiants en Architecture et les étudiants des Beaux-arts. L’ambiance y était gaie. Il y avait un gramophone dans un coin de l’atelier et nous écoutions souvent de la musique classique en peignant. Tous les étudiants de ma promotion étaient amis ; l’amitié entre nous était sincère et sans arrière pensée. Plusieurs des peintres de ma promotion étaient également poètes et sont devenus célèbres : Manoutchehr Cheybâni nous récitait ses poèmes avec emphase, mais Sohrâb Sépehri était en général calme et peu bruyant ; il fallait que nous insistions pour qu’il nous lise l’un de ses poèmes. Mme Behjat Sadr et Sâdegh Barirâni étaient également dans ma promotion."

Mme Azimâ se souvient des chahuts qu’organisaient les étudiants, un peu par imitation des étudiants de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris : boules de neiges lancées sur les professeurs, sceau rempli de peinture mis en équilibre au-dessus de la porte et qui se renversait quand l’un des professeurs ouvrait la porte. "Les étudiants des autres facultés venaient à la faculté des Beaux-Arts pour se détendre."

"Le ROSTAM de notre époque"

Après avoir terminé ses études aux Beaux-Arts, Mme Azimâ obtint une bourse pour un doctorat en Histoire de l’Art à l’Université Vissa Baharati (université fondée par Rabindranath Tagore à Shantiniguitan, en Inde). "Mais j’étais mariée et j’avais un fils de 11 mois à l’époque. Mon mari et moi étions d’accord pour que je parte continuer mes études ; je savais que mon fils serait très bien gardé par mon mari, ma mère et ma belle-sœur. Mais une fois en Inde, je me suis rendue compte qu’il m’était très difficile d’être séparée de mon fils ; j’ai laissé tomber les études et je suis revenue en Iran au bout de six mois."

Mme Azimâ fut alors embauchée par le Ministère de l’Education. Elle devint professeur de dessin, puis directrice d’un lycée à Téhéran - lycée qui avait été fondé par la mère de Mme Azimâ quelques années auparavant- et poursuivit ses activités artistiques en même temps. "J’ai toujours eu envie d’innover. J’ai toujours eu envie de créer quelque chose de différent de ce qu’avaient fait mes prédécesseurs ; c’est pourquoi j’ai décidé d’utiliser du liège et de la dentelle dans mes tableaux."

L’un des tableaux de Mme Azimâ, datant de cette première période, fut acheté pour la collection du Musée Négârestân de Téhéran, et fait partie actuellement de la collection du Musée de Saad-Abâd.

II- La découverte de la peinture sous-verre

Ce fut par hasard que Mahine-dokht Azimâ découvrit la peinture sous-verre. C’était en 1347 (1968). "Je vivais à l’époque à Abâdân [1], car mon mari travaillait pour la Compagnie Pétrolière Iranienne. Une inondation était survenue et avait sinistré les villages de la région. J’étais membre d’une association caritative de secours et c’est à cette occasion que j’ai découvert, dans les maisons villageoises que nous aidions à surmonter le désastre, les peintures dessinées derrière des morceaux de verre (incrustés dans les fenêtres ou les portes).

La peinture sous-verre existe en Iran depuis la dynastie des Safavides [2]. Elle a connu son temps de gloire à l’époque de la dynastie des Zands et des Qâdjârs [3]. On utilisait la peinture sous-verre pour les ornementations des palais et des résidences des gens aisés, ou pour décorer les tableaux à thèmes religieux [4]. Lorsque j’ai découvert ces peintures dans les maisons des villageois sinistrés, je me suis rendue compte que cette technique de peinture - que l’on peut compter parmi les techniques de peinture iraniennes puisqu’elle existe depuis plusieurs siècles en Iran - était en déclin et risquait d’être définitivement oubliée. C’est alors que j’ai décidé de contribuer à sa réhabilitation."

Collection de la Fondation d’Iranologie, Téhéran

Mme Azimâ commença alors à peindre ses tableaux sous des morceaux de verre ; mais elle n’imita pas les peintures sous-verre traditionnelles : elle utilisa le verre comme support pour peindre ce qu’elle aurait très bien pu peindre sur toile.

La peinture sous-verre est plus difficile que la peinture sur toile dit Mme Azimâ, car il faut peindre les détails du tableau en premier, et ajouter progressivement les autres éléments du tableau ; ce que l’on peint en-dessous du verre est dans l’ordre inverse de ce que l’on peint sur toile. Une autre difficulté de la peinture sous-verre est liée au fait qu’on ne peut pas faire des retouches à ce que l’on a peint ; si l’on veut changer quelque chose, il faut laver entièrement le verre et reprendre tout depuis le début. De plus, les couleurs glissent sur le verre ; on ne peut pas les poser comme on le fait quand on peint sur toile.

Mais les couleurs des tableaux peints sous-verre ont plus d’éclat que les couleurs des tableaux sur toile.

III- Mahine-dokht Azimâ, une peintre à l’esprit créatif

Présence des motifs picturaux iraniens : la fleur et l’oiseau, le cyprès

La plupart de ceux qui utilisent de nos jours la technique de la peinture sous-verre ne font qu’imiter et repeindre les tableaux sous-verre traditionnels (femmes habillées de costumes à la mode de l’époque qâdjâre, avec un narguilé à leur côté ; paysages ; thèmes religieux ; etc). "Mais on doit dessiner son propre temps. Il est vrai que j’utilise la technique de la peinture sous-verre, mais je ne veux absolument pas refaire ce que les anciens ont fait. A mon avis, il faut qu’il y ait une part certaine de créativité dans une œuvre pour qu’on puisse la considérer comme une œuvre artistique."

Les peintures de Mme Azimâ gardent cependant une "touche iranienne".

"Il y a très souvent le motif de "la fleur et de l’oiseau" dans mes tableaux. Ce motif a toujours existé dans les peintures sous-verre traditionnelles iraniennes, et j’ai voulu créer par ce biais une continuité entre mes peintures et la peinture traditionnelle.

J’inclus également souvent dans mes peintures le cyprès, qui est l’arbre de l’Iran par excellence, et qui est très souvent évoqué dans les poèmes persans. Le "botteh-djegheh [5]" - motif iranien inspiré de la forme du cyprès - est également souvent présent dans mes tableaux.", précise à ce sujet Mme Azimâ.

Les innovations techniques

Mme Azimâ utilise depuis quelques années du verre incassable comme support de ses peintures, car quelques uns de ses tableaux peints sous-verre ont été cassés accidentellement.

Elle avait commencé il y a quelques années à peindre quelques détails sur le verre (alors que l’essentiel du tableau était peint sous le verre). Récemment, elle a complété cette innovation : elle ajoute des petits morceaux de verre ou de miroir sur le verre incassable en-dessous duquel elle peint, et recouvre le tout avec un verre cassable. Ces petits morceaux de verre ou de miroir, collés à des endroits précis, créent un relief et rendent le tableau tridimensionnel. Ce que l’on voit quand on regarde le tableau n’est pas exactement pareil suivant l’endroit où l’on se place. Cette image mouvante donne un côté mystérieux au tableau, y ajoute une dimension de rêve.

Le "Rostam de notre époque"

Le "ROSTAM de notre époque" est le nom d’un tableau que Mme Azimâ a créé avec la technique du collage en 1371 (1992). La photo de ce tableau a été publiée en couverture de la revue Rassâneh [6]. Rostam est le héros légendaire du Shâhnâmeh [7]. Pour Mme Azimâ, le héros de notre époque est un amalgame de différents médias, dont la Radio, le Cinéma, la Télévision, et la Presse [8]. "Mais notre époque évolue si vite que ce tableau est déjà dépassé ; il faut désormais inclure l’internet à cet ensemble."

IV- Des joies et des regrets

Mme Azimâ a exposé ses œuvres a plusieurs reprises, en Iran et dans d’autres pays. Sa dernière exposition à l’étranger a eu lieu en 2002, à la Bibliothèque Schlesinger de l’Université de Harvard, à l’invitation des responsables de l’Université. "J’ai accepté cette proposition pour faire connaître la peinture sous-verre, mais j’avais dit aux organisateurs que je ne vendrai pas mes tableaux là-bas", dit-elle.

Collection du Ministère de la Culture, Téhéran

Mme Azimâ a reçu pour ses œuvres le Prix des Femmes Artistes Iraniennes en 2001, et la Médaille d’Honneur de l’Organisation de l’Héritage Culturel Iranien en 2006. Plusieurs de ses tableaux ont été achetés par des musées iraniens, par le Ministère de la Culture de l’Iran, ou par la Fondation d’Iranologie (située à Téhéran). L’un de ses tableaux fait partie de la collection privée de Mme Indira Gandhi.

"La Fondation d’Iranologie n’avait pas beaucoup d’argent. Je leur ai vendu mes peintures en n’acceptant que le prix du matériel que j’avais utilisé pour peindre et pour encadrer le tableau, avec l’espoir que mes peintures sous-verre seraient exposés et contribueraient à faire connaître cette technique de peinture aux iraniens... mais aucun de ceux qui sont allés à la Fondation d’Iranologie n’y ont vu mes peintures ; je ne sais pas où elles sont", dit Mme Azimâ.

Collection du Musée d’Art Contemporain, Téhéran

"Je regrette que la technique de la peinture sous-verre soit si peu connue en Iran à l’heure actuelle, alors qu’elle fait partie de notre patrimoine culturel depuis des siècles. L’Université Al-Zahrâ m’a invité il y a quatre ans à donner des cours de peinture sous-verre aux étudiants ; malgré mon emploi du temps chargé, j’ai accepté par souci de faire connaître cette technique aux jeunes. Malheureusement, l’Université a annulé ce projet de cours au bout de six mois, par manque de budget. Quelques étudiantes ont choisi la peinture sous-verre comme sujet de mémoire mais dans l’ensemble, les étudiants aux Beaux-Arts en Iran ne savent pas grand-chose de la peinture sous-verre, car elle n’est pas enseignée. La plupart des gens confondent la peinture sous-verre avec le vitrail, alors que ce sont deux choses totalement différentes : le vitrail est une esquisse que l’on dessine sur le verre, puis on peint le verre avec une couleur transparente. La lumière traverse donc le vitrail, alors qu’elle ne traverse pas la peinture sous-verre.

Je souhaite par ailleurs publier un livre où figureraient les photos de mes tableaux, ce qui contribuera peut-être à mieux faire connaître la peinture sous-verre, mais aucun éditeur de livres d’arts, même les éditions publiques telle que l’Edition de l’Organisation de l’Héritage Culturel, ne soutient actuellement ce projet." dit Mme Azimâ.

L’un des premiers tableaux que Mme Azimâ a peint sous-verre - et qui a été acheté par le Musée d’Art Contemporain de Téhéran - représente deux personnes assises à côté d’un cyprès. Il y a devant eux un petit bassin où nagent des poissons rouges. Des fleurs et un oiseau complètent le paysage. Ce tableau évoque le jardin iranien traditionnel, où les membres de la famille et les amis s’asseyaient ensemble l’après-midi sous l’ombre des arbres, à côté d’une fontaine rafraîchissante, pour boire du thé ou manger des fruits… une ambiance de calme et de sérénité, que l’on ressent quand on est assis dans le salon de Mme Azimâ, devant ses tableaux.

Expositions Individuelles :
- 1-Lycée Mahine, Téhéran, 1960.
- 2-Galerie Seyhoun, Téhéran, 1973.
- 3-Salle Hâfez de la Cité Qods, Téhéran, 1991.
- 4-Galerie Valy , Téhéran, 1997.
- 5-Musée de la Peinture Sous-Verre, Téhéran, 1998.
- 6-Exposition dans la salle de la Bibliothèque Schlesinger de l’Université de Harvard, Etats-Unis, 2002.
- 7-Galerie Chams, Téhéran, 2006.

Expositions collectives :
- 1-Deuxième Biennale de Téhéran, 1960.
- 2- Exposition "25 Ans d’Art Iranien", Musée Iran-e Bâstân, Téhéran, 1970.
- 3- Exposition "Art Contemporain de l’Iran", Téhéran, 1971.
- 4-Exposition "Œuvres des Peintres et Sculpteurs Iraniens", Salon d’Automne de Paris, 1973.
- 5-Exposition "Les Peintres Iraniens", Palais des Beaux-Arts, Bruxelles, 1973.
- 6-Exposition "Les Peintres Iraniens", Yougoslavie, 1974.
- 7-Exposition "Les Peintres Contemporains Iraniens", Turquie, 1974.
- 8-Exposition Internationale des Femmes Artistes, Téhéran, 1975.
- 9-Exposition de peinture à la Foire Internationale de Téhéran, 1991.
- 10-Exposition d’œuvres d’Art pour le Soutien du Peuple de la Bosnie-Herzégovine, Centre Culturel Niâvaran, Téhéran, 1992.
- 11-Exposition à l’occasion de la Journée de la Femme, Galerie Assâr, Téhéran, 2001.
- 12-Exposition organisée par l’Organisation de l’Héritage Culturel, Musée Azâdi, Téhéran, 2002.
- 13-Exposition "Les Pionnières de la Peinture en Iran", Musée Abkâr du Palais Saad-Abâd, Téhéran, 2003.
- 14-Exposition organisée par l’Organisation de l’Héritage Culturel, Centre Culturel Sabâ, Téhéran, 2004.
- 15-Exposition collective, Musée de la Peinture Sous-Verre, Téhéran, 2005.

Notes

[1Ville située dans la province du Khouzestan, en Iran.

[2La dynastie des Safavides règna sur l’Iran de 1501 à 1736.

[3La dynastie des Qâdjârs règna sur l’Iran de 1796 à 1925. La dynastie des Zands règna sur l’Iran après les Safavides et avant les Qâdjârs.

[4Pour plus d’informations sur la peinture sous-verre traditionnelle en Iran, voir l’article "Genèse et évolution de la peinture sous verre", Rahmân Ahmadi Maleki, La Revue de Téhéran No 27, février 2008, pages 20-26.

[5"botteh-djegheh" est le motif suivant :

[6Le mot "Rassâneh" signifie "média" en persan.

[7Le Shâhnâmeh, traduit en français sous le titre "Le Livre de Rois", est un poème épique de 60 000 distiques, composé par Ferdowsi, poète iranien du XIe siècle.

[8Il y a un jeu avec le mot "Rostam" dans ce tableau : R de Rostam est la première lettre du mot Radio, S est la première lettre du mot Cinéma (qui s’écrit en persan avec t ),T est la première lettre du mot Télévision, M est la première lettre du mot "Matbou’ât" (qui signifie "la presse" en persan).


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2 Messages

  • le renouveau de la peinture sous-verre 7 novembre 2009 10:50, par gery

    BONJOUR, je viens de découvrir vos peintures sur verre, celles que je vois sur l’écran sont agréables à regarder ; j’aurais aimé avoir un peu de talent pour me diriger dans ce monde ! bravo l’artiste. germaine

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  • le renouveau de la peinture sous-verre 1er septembre 2010 02:44, par Le Cathare

    Je viens de découvrir cette page et je suis en train de m’instruire sur cette technique, et j’ai fais quelques essais, j’avoue que les tableaux que je viens de voir, m’encourage à poursuivre dans cette voie même si je n’arriverai jamais à ce niveau mais le principal c’est de participer à la continuité de cette peinture de la faire connaitre pour donner à d’autres l’envie de suivre.

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