N° 35, octobre 2008

Évocation de la Présence (II)


Marzieh Mehrâbi

Voir en ligne : Première partie


Le Saint Prophète utilisa ce verset pour soutenir que si les chrétiens ont déclaré qu’ ’Issâ (Jésus) était le fils d’Allah, c’est parce qu’il est né sans père, alors qu’il en est de même pour Adam.

Malgré cela, les chrétiens ont continué à argumenter et le verset dit du "Mubâhila" fut révélé :

"A ceux qui te contredisent à son propos, maintenant que tu en es bien informé, tu n’as qu’à dire : "Venez, appelons nos fils et les vôtres, nos femmes et les vôtres, nos propres personnes et les vôtres, puis proférons exécration réciproque en appelant la malédiction d’Allah sur les menteurs"".

Selon le commandement d’Allah, le Saint Prophète défia les chrétiens à invoquer la malédiction de Dieu sur la partie qui insisterait sur son mensonge. Ces derniers acceptèrent le défi et le lendemain (24e Zul-l-Hijjah), le Saint Prophète rejoignit le lieu de la réunion avec son petit-fils l’Imam Hussein dans les bras et tenant par la main le frère aîné de ce dernier, l’Imam Hassan. Il était suivi par sa fille Fatima et son gendre l’Imam `Ali. En voyant le Saint Prophète ainsi accompagné de sa famille proche, les chrétiens baissèrent pavillon et acceptèrent de payer l’impôt à l’ةtat musulman.

Vue de la Kaaba

23.1.87 : C’est notre dernière soirée à Médine. Tu dois ranger tes bagages et te préparer avant onze heures à rejoindre la Mecque. Les étudiantes de la caravane cousent, en signe de ralliement, des rubans bleus derrière leur tchador d’ihram ; elles se retrouveront ainsi plus facilement parmi la foule de miqât. Tu accomplis tes prières et tes actions de grâce et tu reprends le chemin de la Mosquée. Le tumulte de la foule répond à ta tempête intérieure. Tu vois les colporteurs et les magasins chics de Médine et soudain, tu te souviens que c’est ta dernière nuit dans cette ville. Les larmes te montent aux yeux. Tu te hâtes de rejoindre la Mosquée, emplie des souvenirs du premier jour.

Tu as de la peine à croire à la vitesse du temps qui passe. C’est l’heure de ta dernière prière de midi, ici à Médine, dont les lieux saints défilent devant tes yeux.

Quand tu reviens à l’hôtel, tous sont prêts à partir, vêtus de leur tenue d’ihram blanche. Tu te prépares rapidement et les paroles de l’Imam Sadjâd à Chebli te reviennent en mémoire, la douche purificatrice doit te donner le désir de te laver de tous tes péchés, ton vêtement te rappeler la blancheur du linceul, tu dois te libérer des marques, des couleurs. Tu portes maintenant le vêtement de l’obéissance à Dieu. Ton vêtement de tous les jours est un signe, un titre, un privilège, un Moi : il faut désormais se défaire de tout cela. L’humanité est divisée en race, en nationalité, en caste, en titre, en famille, en Moi. Enterre ton Moi, deviens les autres, deviens autre. En bas, tu vois les images du cimetière de Baqui qui passent à la télé. Tout le monde se dit adieu. Vous étiez arrivés alors qu’un groupe partait. Vous ne compreniez pas leurs larmes, leur chagrin de quitter Médine. Maintenant, c’est votre tour et ce sont les autres qui regardent avec étonnement vos larmes. Vous passez sous le Coran [1]. Montés dans le bus, vous êtes conduits vers la mosquée Chadjara qui veut dire "arbre" en arabe. C’est ici que notre prophète devint muhrim [2] plusieurs fois. Ici est l’Al-miqât : lieu ou tu deviens muhrim.

Marche entre Safâ et Marwâ

C’est comme une résurrection : tu ne distingues plus personne, tu ne reconnais plus personne, tu deviens comme une goutte d’eau dans l’océan. La place intérieure de la moquée est petite. Tu trouves avec difficulté un lieu pour prier, pour t’approcher de Dieu par le biais de ton adoration. Les pronoms de ta prière retrouvent leurs vraies références. Ici, personne n’est absent : Dieu, Abraham, Muhammad, les gens, l’esprit, la liberté, l’amour… tu répètes ses phrases "Me voici à Toi O Allah, me voici à Toi, Tu n’as point d’associés, me voici à Toi certes toutes les louanges et les faveurs T’appartiennent ainsi que ta Royauté, Tu n’as point d’associé...". Mon Dieu ! Et si Tu ne me m’acceptes pas ! Tout autour de Toi, le chant de labbayk [3] s’élève. Tu dois Te défendre tout ce que Dieu t’a défendu. Qu’est-ce qui est interdit ? Tout ce qui te rappelle le monde :

Ne te regarde pas dans la glace : oublie-toi pour trouver la beauté absolue.

Ne te parfume pas : tu sens ici un autre parfum, celui de Dieu.

N’ordonne pas : nous sommes fraternels et égaux.

N’arrache pas les plantes : apprends la paix avec la nature.

Ne fais pas souffrir et ne tue pas les animaux : tue le goût de la destruction dans ta profondeur

Tu accomplis ta prière du soir. Mais cette fois ta prière n’est pas la répétition d’un devoir. C’est comme si tu entendais de nouveaux mots.

C’est le moment du départ pour la Mecque. Montée dans le bus, tu vois les visages couverts de larmes, tout est silence. Vous arrivez, les responsables de l’hôtel qui vous est assigné vous accueillent chaleureusement. Tu as deux heures pour dormir. Tu n’y arrives pas : les pensées t’agitent. Où es-tu ? Que veux-tu ? Que fais-tu ? Seuls les musulmans ont le droit d’être où tu es maintenant. Tu es dans la ville sûre, la ville de l’unicité divine (tawhid). Depuis toujours, les gens tournent autour de la Kaaba, en quête perpétuelle de perfection.

Au matin, vous rejoignez en bus la Mosquée d’al-Hiram. La Mecque te paraît plus verte et plus moderne que Médine. C’est une ville montagneuse. Vous traversez des tunnels en haut desquels des versets coraniques sont gravés.

Tu es maintenant au seuil de la mosquée d’al-Hiram. Tu dois te déchausser.

Mont de la Lumière (Jebel an-Nour)

"Je suis ton Seigneur. Enlève tes sandales : car tu es dans la vallée sacrée de Tuwa." (Sourate Ta- ha, verset 12).

Quelques pas encore et tu es face à la Kaaba, dans la direction de laquelle on prie et on enterre les morts. La Kaaba est un pavé, avec un grand cube noir au milieu et rien d’autre. Pas d’art, pas d’architecture, pas de platerie, pas de céramique. Quelle simplicité ! Une simplicité tout entière destinée à te rappeler Dieu.

Nous avons six faces, comme la forme d’un cube. La Kaaba est égale sur tous ses côtés.

"A Allah seul appartiennent l’Est et l’Ouest. Où que vous vous tourniez, la Face (direction) d’Allah est donc là, Car Allah a la grâce immense ; Il est Omniscient."

(Sourate la Vache, verset 115).

Tu mets ton côté gauche vers le Kaaba, lieu où se trouve ton cœur, lieu de tes sentiments, de tes souhaits. La première partie des rites commence.

Tu commence par le côté de la Pierre Noire ou al-hajar al-aswad. Tu lèves la main, tu prononces "Dieu est le plus grand".

Tu signes ainsi un pacte avec Dieu. Tu te libères des anciens pactes. Cet endroit symbolise la main droite de Dieu sur terre. Prends-la. L’incessant tour te transforme en point mouvant d’un cercle. La circumambulation (tawâf) t’invite à regarder de tous côtés, à oublier ton point de vue habituel et immuable. C’est le septième et dernier tour.

Ta tawâf terminée, tu fais la prière dite "de la position d’Abraham". Pour cette prière qui clôt la tawâf, il faut se placer derrière le "maqâm Ibrâhim" ou "position d’Abraham", marquée par deux traces de pied, attribuées à Abraham, qui indiquent l’endroit où il se tenait debout. Tu es au cœur de la Kaaba, dans le "maqâm Ibrâhim". Comme lui, brise-toi, casse tes idoles. Tu es là où était Abraham.

Après la prière, tu entres à Mas’a, qui est une salle couverte. Cette salle artificielle, créée en plein désert, te laisse perplexe. Tu révises tes connaissances sur Hajar (Agar), la deuxième épouse d’Abraham. Ces va-et-vient entre Safâ et Marwâ s’inspirent d’un épisode de la vie de celle-ci. Le Prophète Abraham avait reçu l’ordre d’Allah le Très Haut d’abandonner sa femme et son nourrisson (Ismaïl) dans le désert. On raconte qu’aux cris de l’enfant pleurant de soif, Hajar se mit à courir entre deux collines proches dans l’espoir de trouver de l’eau. Elle courut sept fois d’une colline à l’autre ; alors apparut l’Archange Gabriel qui fendit de son aile la terre et fit jaillir la source bénie de Zem-Zem. Ce nom, dit-on, rappelle Hajar qui, lorsqu’elle constata le flux important de la source d’eau, y plaça ses paumes comme pour arrêter l’eau et dit "Zem Zem" (doucement, doucement !). Tu dois ici être Hajar, symbole de la résignation absolue. Elle a cherché l’eau, inlassablement. Toi aussi, cours, cherche ! Tu accomplis le 7ème tour en pensant à Hajar.

Rite symbolique de la lapidation de Satan (Rami al-Jamarât)

Après la course du Mas’a, tu dois accomplir le rite du "taqsir" : te couper une mèche de cheveux ou un ongle. Ce geste symbolise le renoncement à la beauté éphémère. A Miqât, tu t’étais déjà débarrassé de tes autres ornements. Maintenant, tu parfais ton geste et passes de la beauté éphémère à la beauté éternelle. C’est sur ce dernier geste que tu sors de l’état d’ihram.

Le rite final du pèlerinage consiste en une dernière circumambulation et la prière derrière le maqâm.

C’est fini. Tu te sens légère. Les pèlerins se congratulent pour leur renaissance. C’est l’heure de la prière de midi, ici, devant la Kaaba. Les mots de la prière paraissent chargés d’un nouveau poids, d’un sens que tu ne comprenais pas jusqu’alors.

Le lendemain, repos à l’hôtel, vous êtes tous épuisés. Tous les jours après la prière du matin, tu montes l’escalier de la porte Fath, et, assise en face de la Gouttière d’or, tu regardes la Kaaba et les gens qui tournent. Une image mille fois vue à la télévision ou ailleurs, mais que tu as l’impression de découvrir pour la première fois. Tu te familiarises avec les différentes parties de la Kaaba : les quatre angles autour la Kaaba : l’Angle de la Pierre Noire (sud-est). Angle du Yémen (sud-ouest) (une grande pierre placée verticalement forme cet angle du bâtiment. La coutume est de caresser ou saluer cette pierre), l’Angle de la Syrie (nord-ouest). Angle de l’Irak (nord-est). En haut de ces deux derniers angles se situe la gouttière (en or) pour évacuer les éventuelles eaux de pluie.

27.1.87 : Cet après-midi, vous allez tous à la mosquée de Hodeybia, autre lieu de miqât, pour devenir muhrim une seconde fois. Cette fois-ci, tu peux faire un oumrah de niabat (pèlerinage par procuration) à la place d’autres gens, des membres de ta famille par exemple. Tu répètes les Talbiya (labbayk). L’amour pour la personne pour qui tu fais cet oumrah te redonne de la force. Après ce pèlerinage, on vous conduit au musée de la Mecque où diverses maquettes et photos vous font suivre l’évolution moderne et rapide de cette ville et de Médine. On y conserve également les anciens rideaux et portes de la Kaaba. Le temps de visite est limité ; vingt minutes pour voir toutes les salles. Après le dîner, tu rejoins la masdjid-al-haram. En exécutant les rites du pèlerinage à leur place, tu sens les personnes absentes qui auraient aimé être à tes côtés pour t’accompagner.

28.1.87 : Tu visites aujourd’hui les lieux touristiques et religieux de la Mecque. D’abord le cimetière d’Abou-Tâlib, où sont enterrés les proches du Prophète tels qu’Abou-Tâlib, son oncle, Khadija, son épouse, et Abdol-Motalleb, son grand-père.

Tu visites ensuite le Mont de la Lumière, "Jebel an-Nour", montagne où est située la grotte de Hira, premier lieu de Révélation au Prophète. Le lieu qu’il a choisi pour se retirer du monde. La montagne est haute et sa taille, conjuguée à la chaleur, en rendent l’ascension difficile. A Mozdalifa, tu dois trouver sept cailloux de la taille d’un pois chiche pour le rite de la lapidation de Jamarât (rite symbolique de lapidation de Satan).

Mina, l’étape suivante, est une localité située à 5 kilomètres environ de la Mecque, et tu trouveras cet endroit rempli de camps faits de tentes modernes et climatisées. La zone est organisée par pays que tu reconnais grâce à leurs couleurs.

Tu te diriges ensuite vers la plaine d’Arafat. Le 9ème jour du mois de dhûl-hijja est également nommé "Yawmou’ arafa" (Journée d’Arafa). Ce jour-là, au lever du soleil, le pèlerin quitte Mina pour aller à pied jusqu’à ’Arafa, en répétant les talbiya. Selon les responsables du tour, l’ambiance est différente parmi le hadj oumrah (pèlerinage facultatif) et le hadj tamattu’ (pèlerinage obligatoire). Ayant admiré les chameaux décorés de fleurs que l’on voit en ces lieux, tu quittes l’endroit pour gravir la montagne Jebel-al-Rahma (Montagne de la Miséricorde).

A la fin, on vous dirige vers la montagne Tawr, à mi-chemin entre la Mecque et Médine, où se cacha le Prophète accompagné d’Abou Bakr, qui avait quitté la Mecque pour Médine sur ordre divin. Poursuivis par les Quraychites, ils s’étaient réfugiés dans cette grotte, dont l’entrée fut fermée par une araignée tissant sa toile et une colombe qui nidifia juste devant cette grotte. Les Quraychites suivirent la piste jusqu’à devant la grotte, mais ils ne virent rien qu’un endroit abandonné où un oiseau avait nidifié. Ils passèrent donc leur chemin.

29.1.87 : C’est maintenant le temps du shopping. Tout le monde achète des souvenirs.

30.1.87 : Une semaine a passé. C’est incroyable ! Le temps de rentrer se rapproche à toute vitesse. Tu vas une dernière fois prier dans la Mosquée sacrée, tu fais la tawâf d’adieu, qui te paraît trop courte. Tu laisses une partie de ton cœur auprès de la Kaaba...

31.1.87 : Il est dix heures du matin. Les visages sont couverts de larmes. Après la cérémonie d’adieu, tu quittes l’hôtel pour l’aéroport de Jedda. Le trajet se fait dans un silence triste.

Tu as encore peine à croire que le voyage est terminé. Tu te souviens du jour où tu t’es inscrit sur la liste d’attente. La liste était pleine, on a rajouté ton nom au cas où quelqu’un se désisterait. Tu as longtemps attendu une réponse, avec l’angoisse de ne pas être "appelée" par Dieu. Finalement, le tout dernier jour, tu as eu ta réponse. Quelqu’un s’était désisté.

Tu as passé le premier jour de l’an à Médine, à regarder le dôme vert de la Mosquée du Prophète.

Tu te souviens du départ. Et voilà qu’à cette heure tu repars. Tout s’est passé comme dans un rêve. Il est 7h30 et tu survoles Chiraz.

"Nos paroles sont encore inachevées

Avant que tu ne t’en rendes compte, c’est le moment de partir

Et c’est toujours la même histoire,

Avant d’être informé, c’est le moment du départ

Oh le regret perpétuel,

Tout d’un coup, comme si tôt il devient tard !"

Notes

[1Coutume musulmane qui consiste à faire passer les voyageurs sous un Coran pour bénir leur départ.

[2Ihram signifie littéralement "sacralisation". Devenir muhrim ou être en état d’ihram signifie être prêt à effectuer l’ensemble du rituel du Hadj.

[3Invocation récitée durant le Hadj.


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