N° 41, avril 2009

Le kotéba de la jeune mariée


Odile Puren

Voir en ligne : Le kotéba : théâtre traditionnel malien


Dans notre dernier article [1], nous avons parlé du kotéba, un théâtre traditionnel bambara. Lorsqu’il est joué à l’occasion d’un mariage, il porte le nom de konyomoussokoté. Nous vous proposons de découvrir le rôle du kotéba de la jeune mariée.

Le konyomoussokoté, encore appelé le kotéba de la jeune mariée a surtout pour objectif de dicter à la jeune mariée la conduite qu’elle doit désormais adopter dans la communauté qui l’accueille. A cet effet, deux sketches sont joués :

Le premier met en scène une femme vertueuse. Il s’agit ici d’une épouse reconnue pour sa bonne conduite au sein de la société de son mari. Elle est soumise à celui-ci, et sait l’écouter. Elle a en outre su créer une bonne entente entre les membres de sa belle-famille, puis entre son mari et ses amis. Ses conseils sont toujours les bienvenus lorsque les uns et les autres sont en difficulté. De plus, c’est une excellente éducatrice pour ses enfants.

La jeune mariée est invitée à suivre l’exemple de cette femme.

Le second parle plutôt d’une femme méchante, qui fait souffrir ses enfants, son mari, sa belle-famille et tous les gens qui d’une manière ou d’une autre, se trouvent en contact avec elle.

A travers ce sketch, les comédiens expliquent à la mariée que cette dernière femme n’est pas celle que l’on souhaite qu’elle soit.

C’est lors du konyomoussokoté que la femme se rend vraiment compte que pour vivre heureuse chez son mari, elle doit désormais posséder trois grandes qualités : être laborieuse, féconde et discrète.

Les travaux domestiques et champêtres

Henri Lopes, écrivain africain, déclare à propos des travaux domestiques : "N’oublie pas que tu es femme. Le premier travail d’une femme, c’est le travail domestique". [2]

Dans les villages africains et plus particulièrement au Mali, les travaux domestiques font partie du quotidien de la femme. Ils demandent beaucoup de courage et de persévérance. Le puits est en général situé à l’entrée du village et donc loin des concessions, pour la sécurité des enfants. Ce qui n’arrange pas les femmes qui se lèvent à cinq heures du matin pour faire leur provision en eau. Il faut plusieurs seaux ou bassines pour remplir les jarres d’eau afin de subvenir à la consommation quotidienne. Dans les régions de savane comme le Mali, le bois est une denrée rare et il est nécessaire pour la femme de parcourir des kilomètres pour rapporter les fagots au village. Pour préparer les repas, la femme a besoin de piler le maïs, le riz ou le mil, faire sa farine elle-même car en milieu rural, on limite les dépenses au strict nécessaire. Et la femme qui n’achète rien à l’extérieur est considérée comme une bonne épouse car elle fait des économies pour sa nouvelle famille. C’est une femme "vaillante".

En plus de tous ces travaux, la femme bambara doit se rendre à pied au champ pour y travailler. Lorsqu’elle a la chance d’avoir rapidement des enfants, ceux-ci, en grandissant, l’aident dans ses tâches. Mais malgré tout, la situation de la femme villageoise malienne n’est guère confortable. René Philombe déclarait à propos de la condition de la femme africaine : "Elle devait puiser de l’eau, en réchauffer une quantité pour les ablutions de son mari, elle devait balayer la grande maison, la case cuisine et la cour ; elle devait apprêter un maigre déjeuner, mettre les moutons au pâturage derrière la maison. Ce n’était pas tout. Elle devait aller au champ et en revenir vers trois heures, affamée, épuisée de fatigue, le corps envahi par mille démangeaisons !" [3]

De nos jours, des ONG européennes essaient d’alléger ces souffrances de la femme malienne en construisant des puits dans quelques villages, notamment au pays dogon ; mais la tâche est immense.

Avouons que le mariage change très peu une situation qui a commencé dès l’adolescence car la jeune fille bambara avait déjà l’habitude d’aider sa mère, ses tantes ou les amies de sa mère.

Dans le milieu rural, la femme malienne ne participe pas aux discussions mondaines ou intellectuelles sur l’amélioration de sa condition. Pourtant, elle est la première concernée et devrait faire partie de ces groupes de réflexion organisés parfois par des associations afin que ses filles ou petites filles puissent vivre un lendemain meilleur.

Au Mali comme ailleurs en Afrique, les femmes des villes sont les premières à bénéficier des réformes. Henri Lopez partage cet avis lorsqu’il écrit :

"L’émancipation avait un sens pour les femmes qui, comme leur mère, faisaient tous les jours dix kilomètres à pied pour aller à la plantation, cultiver la terre et revenir. Elles y allaient portant sur le dos une hotte pesant parfois quarante kilos." [4]

La procréation

Chez les Bambara du Mali, lorsqu’une femme meurt sans enfant on dit qu’elle est "finie". Il est donc inconcevable qu’une femme ne puisse pas procréer. On ne peut non plus imaginer que le nombre d’enfants soit limité puisque la valeur d’une épouse est fonction de sa fécondité, de sa progéniture. Par conséquent, rien n’est pire qu’une épouse stérile : elle subit les railleries de sa belle famille qui pousse le mari à épouser une autre femme. On devine alors que pour le Malien, rien n’est plus glorieux qu’une épouse enceinte. L’affirmation suivante de l’écrivain malien Ahmadou Kourouma nous le confirme bien : "Rien ne doit détourner un homme sur la piste de la femme féconde, une femme qui absorbe, conserve, fructifie, rien ! Et Mariam était une femme ayant un bon ventre, un ventre capable de porter douze maternités." [5]

Certaines femmes évitent de parler des méthodes contraceptives de peur d’être considérées comme des personnes de mauvaises mœurs. Guy Menga déclare au sujet de la procréation : "L’œuvre de la procréation est sacrée et toute personne qui s’y refuse, doit subir le supplice et le châtiment prévus par la coutume." [6]

La jeune mariée sait grâce au konyomousokoté que le travail domestique ne peut et ne doit être un obstacle à la maternité. Pour elle le congé maternité ne commence réellement que le jour de l’accouchement. Ces conditions de la femme villageoise font que lorsqu’une Malienne a réussi à s’en sortir, soit par le biais de l’instruction reçue à l’école, si elle a eu la chance d’y avoir accès, soit par celui de l’exode vers une grande ville, si elle a de la famille là-bas qui peut l’aider, elle est loin de regretter sa jeunesse. Abdoulaye Sadji confirme bien cela dans cette phrase : "Dieu merci, elle avait échappé au sort de ces femmes de la brousse, couvertes de la poussière des chemins et des lougans, qui trimaient à la place de leurs maris, n’ayant qu’un seul droit : faire une progéniture nombreuse et épuisante." [7]

La discrétion

La discrétion oblige la femme malienne à se taire sur certaines injustices même révoltantes. Son mari, est son maître et ses volontés sont des ordres. Bien que la condition de la femme évolue lentement, ce sont surtout celles des villes et celles issues de milieux aisés qui voient leur situation s’améliorer. Mais la plupart des femmes qui vivent dans les villages subissent des châtiments corporels lorsqu’elles ne savent pas tenir leur langue. Guy Menga écrit à propos de la femme battue : "Vouata bondit sur sa femme avec la fougue d’un taureau blessé à mort et la roua de coups. Loutaya ne broncha pas et ne cria même pas. Vouata continue de frapper violemment en jurant à haute voix et ne s’arrêta que lorsque les voisins, alertés par ses imprécations, accoururent pour le maîtriser." [8]

De tels agissements de la part d’un époux scandalisent en Europe alors qu’au Mali, les femmes bambara elles-mêmes se résignent à accepter l’ordre établi car leurs mères aussi ont subi le même sort. Alors pourquoi se révolteraient-elles contre la tradition ? : "Ne dis rien. C’est ton père… C’est un homme. Nous, les femmes, c’est notre lot d’être battues. Aucune femme ne peut se vanter de n’être jamais battue, par son père ou par son mari." [9]

La jeune mariée sait que son mari a le droit de lever la main sur elle, et pourtant elle doit dès à présent apprendre à lui manifester le respect que sa condition d’homme exige ; crainte et respect sont toujours liés. Depuis l’enfance, elle s’est initiée aux formules de politesse et aux règles de savoir-vivre entre époux : "Loutaya avait passé toute sa jeunesse au village, aux côtés de sa mère qui l’avait initiée à la vie conjugale : politesse, respect du mari, soumission inconditionnelle, voilà ce qu’elle avait surtout appris de sa mère qui le lui enseignait par sa conduite irréprochable." [10]

Remarquons que sous certains aspects, la condition féminine de la femme malienne était comparable à celle de la femme européenne car l’égalité des hommes et des femmes en Europe date du XXème siècle. La tradition biblique avait sans doute contribué à rendre la femme responsable de tous les maux de l’univers pour avoir, un jour offert à l’homme le fruit défendu par Dieu.

Au Mali aussi, un mythe du mandingue (famille d’ethnies dont les Bambara) dit que Dieu, voulant éprouver le cœur de l’homme et de la femme, leur donna un couteau à chacun séparément avec ordre de trancher la gorge de leur conjoint. L’homme horrifié préféra désobéir plutôt que d’accomplir un tel acte tandis que la femme s’apprêta à trancher la gorge de son mari, Dieu intervint aussitôt en ces termes : "Misérable ! dit-il, puisque tu as le cœur si méchant, tu ne toucheras plus le fer de ta vie ! Ta place est aux champs et au foyer. Et toi, dit-il à l’homme, puisque tu es bon, tu as mérité d’être et de manier les armes." [11]

La femme comme nous le constatons, est vouée à se soumettre à l’homme. Francis Bebey dit au sujet des femmes : "Elles ne devaient pas prendre le droit de parler, de donner leur avis de quelque manière que ce fût. La vieille Afrique de nos ancêtres en avait décidé ainsi." [12]

Telles sont les leçons que doit retenir la jeune mariée après le konyomoussokoté.

Aujourd’hui, de nombreuses jeunes filles en quête d’une existence meilleure fuient ces conditions de vie. Elles quittent leur village pour travailler à Bamako ou dans les capitales des pays voisins. Elles espèrent aussi y trouver un bon mari ; mais rares sont celles qui réalisent leur rêve. Comme partout en Afrique, la plupart tombent sur des patronnes peu scrupuleuses qui les exploitent à tel point qu’elles n’arrivent pas à faire des économies afin de préparer leur mariage.

Le kotéba moderne crée et met en scène des sketches sur la vie de ces jeunes filles victimes de l’esclavage moderne. Les plus raisonnables rentrent au village où elles retrouvent leurs racines et une certaine sécurité. Les autres choisissent de rester souffrir à Bamako, à Abidjan… et finissent parfois leur vie de façon dramatique.

Notes

[1Voir la Revue de Téhéran, n° 40.

[2Lopes, Henri, Tribalique, Yaoundé Cameroun, Editions clé, 1971, p. 44.

[3Philombe René, Sola, ma chérie, Yaoundé Cameroun, Editions Clé, 1967, p. 22.

[4Lopez Henri, Tribaliques, op. cit., p. 5.

[5Kourouma Ahmadou, Les soleils des indépendances, Paris, Editions du Seuil, 1970, p. 134.

[6Menga Guy, La palabre stérile, Yaoundé Cameroun, Editions Clé, 1970, p. 35.

[7Sadji Abdoulaye, Maïmouna, Paris, Présence Africaine, 1970, pp. 146-147.

[8Menga Guy, La palabre stérile, Yahoundé Cameroun, Editions Clé, 1970, p. 33.

[9Sembene Ousmane, l’harmattan, Paris, Présence Africaine, 1964, p. 227.

[10Menga Guy, La palabre stérile, op. cit., p. 27.

[11Utamsi Tchicaya, Légendes africaines, Editions Seghers, 1973, p. 168.

[12Bebey Francis, Embarras et Cie, Yaoundé Cameroun, Editions Clé, 1968, p. 24.


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