N° 121, décembre 2015

Les relations commerciales
franco-iraniennes à l’époque zand


Gholâm-Ali Radjâï
Résumé et traduit par :

Khadidjeh Nâderi Beni


Les relations commerciales entre l’Iran et les pays européens sont d’une grande importance dans les études portant sur la période zand. Durant cette période, de nombreuses sociétés commerciales européennes, généralement des filiales ou des rivales de la Compagnie des Indes Orientales (Kompâni-e Hend-e sharghi) rivalisent pour promouvoir leurs intérêts économiques en Iran. Cet article revient brièvement sur les activités des compagnies françaises durant cette période.

La France est parmi les pays européens qui, aux XVIIe et XVIIIe siècles, entreprennent des activités commerciales en Orient et plus particulièrement dans la région du golfe Persique. De ce fait, comme ses rivales l’Angleterre, la Hollande et l’Autriche, elle établit des comptoirs et des chambres de commerce dans les deux pays de la région, l’Empire perse et l’Empire ottoman. Le règne du fondateur de la dynastie zand, Karim Khân Zand (1750-1779), est contemporain de celui de Louis XV (1714-1774) en France. Karim Khân Zand réussit à rétablir une stabilité et une prospérité relatives et propices au développement économique. Quant à Louis XV, sa politique favorise bien plus le développement des relations avec les Ottomans qu’avec les Zands. L’histoire des relations politiques et commerciales entre l’Iran et la France à l’époque zand peut être schématisée en trois grandes périodes.

- La première période : En 1751, le Sieur Simon, ambassadeur français en Turquie et en Iran, se rend à Hamedân où il se convertit à l’islam, choisissant le prénom de « Mohammad-Rezâ ». L’une de ses principales missions est de favoriser l’entente irano-ottomane en vue d’une éventuelle alliance contre la Russie. Cette dernière constituait alors une véritable menace pour les colonies de la France en Europe. Car la France cherche alors à empêcher toute guerre franco-russe en Europe, quitte à en fomenter une en Orient. D’où une certaine importance militaire accordée à la Perse. Cependant, cette politique n’est guère approuvée par Louis XV. Le roi de Perse, Karim Khân, est d’ailleurs conscient du raisonnement français et se montre pessimiste quant à l’avenir des politiques expansionnistes des gouvernements européens, en Europe et en Perse. Ainsi, durant cette période, la stratégie poursuivie par l’ambassadeur français ne donne pas de résultat.

Karim Khân Zand
Louis XV

- La deuxième période : En 1758, monsieur Pierrot devient consul de France à Bagdad. Dès son arrivée dans la ville, Pierrot demande audience au roi de Perse. A l’époque, une certaine tension marque les relations irano-britanniques, Karim Khân s’étant déclaré offensé par les écrits satiriques d’Henri More, délégué de la Compagnie britannique à Bassora [1]. Pierrot pense donc profiter de l’occasion pour consolider les intérêts économiques français autant à Bassora que sur le territoire iranien. Ainsi, il se rend à Shirâz où il entame des négociations politiques et commerciales avec le gouvernement iranien, négociations qui mènent à la signature d’un contrat permettant aux négociants français d’échanger leurs étoffes contre de la soie de Guilân et de la laine de Kermân. Le roi accorde également à la Compagnie française le droit de s’installer sur la péninsule de Khârk, au sud du pays. Selon ce contrat, la France s’engage à fournir les tissus de l’armée perse, importés par voie maritime depuis le sud du pays et plus particulièrement du port de Boushehr. Après avoir finalisé le contrat, en signe de reconnaissance, Pierrot rapporte de précieux cadeaux au roi et à ses proches, notamment ses frères et fils. Karim Khân n’apprécie pas le contrat, mais accepte de le signer pour atteindre deux objectifs principaux : 1) En encourageant le commerce des compagnies françaises dans le sud du pays, il espère également attirer leurs rivales britanniques pour qu’elles reprennent leurs activités économiques dans cette région ; 2) il souhaite également profiter de l’aide navale militaire française durant les offensives iraniennes contre les rebelles de la tribu de Bani Ka’b [2]. En 1770, le contrat est officiellement notifié aux autorités françaises. Cependant, la mort de Pierrot à Bassora peu de temps après de la peste fait tomber le contrat dans l’oubli.

Suite à cela, Kârim Khân révoque le contrat dans une lettre à Louis XV, précisant qu’il accorde l’usage de l’île de Khârk à des compagnies d’autres pays. Louis XV accepte sans réagir puisqu’il préfère alors tenir sa marine en état d’alerte afin de répliquer à d’éventuelles attaques anglaises contre les bases françaises sur les ports indiens, d’une importance stratégique majeure pour les pays européens.

- La troisième période : Suite à la mort de Pierrot, la direction commerciale de la Compagnie française est confiée à Jean-François Rosset, délégué de la Compagnie à Bassora. Poursuivant la politique iranophile de Pierrot, Rosset se rend à Shirâz où il rencontre le roi pour le persuader de signer un nouveau contrat. Durant ces négociations, Karim Khân demande une seconde fois le soutien naval de la marine française à l’armée iranienne pour lutter contre les opposants locaux dont la tribu de Bani Ka’b. Cette demande est plus tard refusée par Louis XV qui préfère privilégier ses relations avec l’Empire ottoman plutôt qu’avec la Perse pour ce qui est du commerce avec l’Orient.

Compagnie des Indes Orientales (Kompâni-e Hend-e sharghi)

Cette préférence transparaît de plus en plus lors de l’attaque de l’armée zand à Bassora en 1776 : conscient de l’importance stratégique du golfe Persique, Karim Khân envoie son frère Sâdegh Khân conquérir Bassora, alors sous contrôle ottoman. Lors de cette mission, les forces de Sâdegh Khân sont pendant 24 heures paralysées par la forte résistance de la marine française positionnée dans le golfe Persique. Mais elles finissent par prendre la ville, suite à quoi la France rompt ses relations diplomatiques et commerciales avec l’Iran pendant une courte période. Précisons que Sâdegh Khân tient Bassora jusqu’à la mort de Karim Khân en 1779 ; après quoi, il redonne le contrôle du port aux Ottomans pour revenir participer aux luttes de succession à Shirâz.

En 1780 (un an après la mort de Karim Khân et cinq ans après la mort de Louis XV), l’administration de Louis XVI annonce que la Compagnie française a obtenu la concession exclusive de la péninsule de Khârk lors d’un contrat signé par le fils de Karim Khân, Abolfath Khân. Toutefois, la France hésite à mettre en pratique le contrat, ce qui jette une nouvelle fois cet accord dans l’oubli. Au cours de cette période, l’Autriche profite de l’occasion pour établir des relations amicales avec l’Iran : elle envoie un ambassadeur, le comte de Noli qui, dès son arrivée à Shirâz, entreprend des négociations avec le roi zand, Ali Morâd Khân. L’objectif de cet ambassadeur est d’établir une alliance entre l’Autriche, l’Iran et la Russie. Pour empêcher cette coalition tripartite, la France envoie un émissaire à Shirâz pour convaincre le roi de s’allier aux Ottomans. Cependant, malgré de longues négociations, Ali Morâd Khân refuse la proposition autrichienne. A titre de représailles, Catherine II de Russie décide de soutenir les rebelles d’Iran dans leurs combats contre les souverains zands. Parmi ces opposants, on peut surtout mentionner les noms de Nasrollâh Mirzâ [3] et d’Aghâ Mohammad Khân Qâdjâr [4]. Ce dernier mène une rébellion qui se termine par la capture de Lotf Ali Khân, le denier roi zand, et l’établissement de la dynastie qâdjâre. L’une des politiques inachevées de la France envers la Perse de cette époque est d’appuyer secrètement les révoltes locales pour affaiblir le pouvoir central iranien, tel qu’on peut le voir dans la révolte d’Ahmad Khân, le gouverneur de Khoy [5].

Finalement, un rapide survol de la politique zand montre leur volonté de favoriser l’établissement du commerce français en Iran, mais l’ةtat français préfère clairement le voisin ottoman et aide au développement des compagnies françaises dans les régions arabophones, telles que Bassora et Mascate [6].

Pour finir, faisons allusion à l’attaque du comptoir britannique par la marine française durant la Guerre de Sept Ans [7] (1756-1763). Durant cette attaque, les corsaires d’Estaing attaquent le comptoir qu’ils détruisent intégralement, en prenant comme butin une importante cargaison de cuivre. Seize marins anglais sont capturés lors de cette attaque-surprise.

Après cette attaque, les Français appuient Mollâ Ali Shâh, l’un des gouverneurs locaux opposés aux Zands pour conquérir toute la région et y fonder sa base. On peut ainsi conclure que la présence des Compagnies européennes en Iran fournit une occasion favorable aux opposants qui cherchent à renverser le gouvernement central. La Guerre de Sept Ans aboutit à la cessation des activités du comptoir britannique à Boushehr. Cette Compagnie comptait alors parmi les centres commerciaux incontournables dans toute l’Asie et plus particulièrement dans la région du golfe Persique. De ce fait, le rythme des activités commerciales dans les ports du sud du pays, qui est d’une grande importance dans la politique extérieure et intérieure de l’État Zand, ralentit nettement.

Guerre de Sept Ans

Notes

[1Deuxième grande ville de l’Irak actuel.

[2« Ravâbet-e tedjâri-e Irân va Farânseh dar dorân-e Zandieh », in Magazine de l’Histoire des relations étrangères de l’Iran, n° 31, 2007. 3. La tribu la plus grande du sud du pays ; d’origine arabe, les Bani Ka’b résident dans une vaste région allant du Khouzestân en Iran jusqu’au sud de l’Irak.

[3Le petit fils de Nâder Shâh Afshâr

[4Roi fondateur de la dynastie qâdjâre, il régna de 1782 à 1797.

[5Ville située au nord-ouest de la province d’Azerbaïdjan de l’Ouest.

[6La capitale d’Oman.

[7C’est le conflit majeur du XVIIIe siècle, qui s’est déroulé simultanément sur plusieurs continents dont l’Europe, l’Amérique du Nord, les Indes et les Philippines. Durant cette guerre, la France et la Grande-Bretagne se sont opposées.


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