N° 58, septembre 2010

Ghâssem-Abâd
Trésor de la culture guilaki


Saeid Khânâbâdi


La région de Ghâssem-Abâd, zone rurale de la province du Guilân située à proximité de la frontière avec le Mâzandarân, peut être considérée comme l’un des creusets de la culture guilaki. Elle se divise en deux zones principales appelées "Haut Ghâssem-Abâd" et "Bas Ghâssem-Abâd" (situé à 90 km de Rasht) et qui rassemble une dizaine de petits villages et près de quatre mille foyers.

Les ruines du château Bandbon à Ghâssem-Abâd

Cette région a un patrimoine historique riche étant donné que des tombeaux anciens remontant jusqu’à l’époque ayant précédé la venue des tribus aryennes dans cette région y ont été découverts. La plupart ont cependant malheureusement été pillés par les trafiquants d’objets antiques. Sur la base de ces découvertes, l’histoire de Ghâssem-Abâd remonterait jusqu’au XIe siècle av. J.-C. Aucune étude approfondie n’a cependant encore été réalisée à ce sujet. Par la suite, les premières peuplades à s’y être installées semblent avoir été les Guiles (d’où vient le mot Guilân) qui, grâce à la situation géographique de cette région, ont vécu dans une quasi-indépendance du pouvoir central, même sous le règne des Achéménides. On trouve néanmoins des contingents guiles dans l’armée perse de cette époque. Après l’invasion arabe, cette région fut l’une des dernières conquises et durant le califat omeyyade et abbasside, il devint l’un des sièges des rebelles chiites. Le nom de Ghâssem-Abâd, issu de "Ghâssem", prénom masculin arabe et chiite, date peut-être de cette époque. Ghâssem-Abâd compte aussi deux mausolées d’Imâmzâdeh (fils d’Imâm).

Femme ghâssem-âbâdi en train de tisser un tchâdor shab

Durant le règne des Safavides et des Qâdjârs, les habitants de Ghâssem-Abâd renforcèrent leur défiance par rapport au pouvoir central notamment en refusant d’envoyer des soldats pour l’armée royale et de payer des impôts. Le roi safavide Abbâs Ier y envoya des troupes afin d’imposer son pouvoir, mais son armée ne put aller au-delà du château Bandbon (dont on peut encore visiter les ruines à Ghâssem-Abâd). Après cette défaite, le roi Abbâs s’efforça de modifier la structure démographique de la région en y favorisant l’immigration de Géorgiens et de Kurdes. Ainsi, encore aujourd’hui, Ghâssem-Abâd compte un kord mahalleh, c’est-à-dire un quartier kurde. Ce projet ne permis cependant pas au roi Abbâs d’atteindre ses objectifs et ces nouveaux migrants s’intégrèrent peu à peu dans la région et adoptèrent sa culture. Cette opposition contre la cour royale continua sous les rois qâdjârs. Ghâssem-Abâd pris position en faveur des constitutionnalistes durant la Révolution constitutionnelle de 1906. Après la Révolution islamique et pendant la guerre contre l’Irak, Ghâssem-Abâd a donné le plus nombre de martyres comparé aux autres régions du Guilân. Encore aujourd’hui, afin d’exprimer leur courage à leurs adversaires, les hommes de ses villages se qualifient ainsi : Shâh nazari rague c’est-à-dire "l’homme par rapport à qui même le roi éprouve de la peur".

Shâli kâri (la culture du riz)

Concernant les caractéristiques culturelles de cette région, Ghâssem-Abâd se caractérise tout d’abord par sa musique et sa dance folkloriques, reconnues et applaudie dans plusieurs festivals culturels du monde entier. Cette musique se joue avec des instruments locaux comme le nâghâreh, le sournâ et un type de tambour. Les chansons sont normalement composées de phrases courtes, simples et rimées. Le thème principal abordé est l’amour champêtre et l’aimée s’appelle Ranâ, qui s’enracine dans une histoire d’amour traditionnelle du folklore guilaki. La dance ghâssem-âbâdi se pratique aujourd’hui fréquemment dans les fêtes de mariage dans presque toutes les villes et les villages de l’est du Guilân et de l’ouest du Mâzandarân. C’est une dance individuelle et féminine qui exprime la vie quotidienne de la femme guilaki : elle décrit ainsi toutes les étapes de la culture du riz ou shâli kâri, notamment le repiquage et la récolte. Les hommes ont également leur dance appelée pâ bâzi (jeu de pieds). Elle est le plus souvent dansée durant les festivals de lutte traditionnelle de Ghâssem-Abâd qui se tiennent en été.

Les femmes de cette région portent un habit traditionnel en trois pièces : tour-e dastmâl (dentelle blanche qui fait office de foulard), un chemisier de couleurs vives, et enfin le derâz tonban (une longue jupe, avec beaucoup de plissés, et une dizaine de rubans parallèles de différentes couleurs). Contrairement à certaines régions, les fêtes de mariage, même après la Révolution islamique, se déroulent sans que les femmes et les hommes ne soient séparés.

La région ne produit pas de tapisseries mais seulement des feutres, en revanche, elle est réputée pour le tissage des tchâdor shab. Autrefois tissé avec de la soie, ce tissu est aujourd’hui fait avec des fils de coton. Ces tchâdors sont souvent rouges et verts et parfois ornés de motifs tels que des femmes couronnées, des rennes, des cavaliers, etc.

On y mange les plats typiques du Guilân tels que le bâghâli ghâtogh, torshi tareh, pelâ sar tareh et surtout le mirzâ ghâssemi, mélange d’aubergine grillée, d’ail, de tomate frite, d’œuf et d’huile. Bien qu’aucune preuve ne permette de confirmer cette supposition, la ressemblance linguistique entre ce plat et Ghâssem-Abâd a conduit certains à affirmer qu’il serait né dans cette région.

Les habitants de cette région, parlent le dialecte guilaki, riche en mots d’ancien persan. La poésie orale locale est riche mais est restée relativement inconnue en Iran.

Les vêtements des femmes ghâssem-âbâdis

L’économie de Ghâssem-Abâd est basée sur l’agriculture ; essentiellement la culture du riz, du thé, et des oranges. Plus récemment, les habitants se sont mis à cultiver également le kiwi et pratiquent l’élevage de vaches et de vers à soie. Ils produisent également du miel. Comme la majorité des régions rurales de l’Iran, Ghâssem-Abâd souffre d’un exode rural massif, mettant en danger la survie de son identité culturelle. Cette dernière est également menacée par la construction abusive de villas et par un tourisme mal géré. Actuellement, les jeunes ghâssem-âbâdis préfèrent aussi porter des vêtements modernes et parler le persan. Depuis près de 20 ans, l’organisation de luttes traditionnelles a presque disparu. Nous espérons dès lors que le Ministère iranien de la culture fera son possible pour protéger l’identité pastorale de Ghâssem-Abâd, ce trésor de la culture guilaki.

Bibliographie :
- Dâneshnâmeh farhang va tamaddon-e Guilân (Encyclopédie culturelle et de la civilisation du Guilân), Enteshârât-e Farhang-e Iliâ.
- Mar’ashi, Seyyed Zahir-od-Din, Târikh-e Guilân va deylamestân (Histoire du Guilân et du Deylam).
- Koutcheki Zâdeh, Karim, Târikh-e mousiqi-e Guilân (Histoire de la musique du Guilân).
- Partow, Afshin, Târikh-e Guilân az âghâz ta barpâee jonbesh-e mashrouteh (Histoire du Guilân des origines au début du mouvement constitutionnel).


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