N° 58, septembre 2010

Survol de l’histoire du Guilân
Depuis les temps anciens jusqu’au début du XXe siècle


Djamileh Zia


La province du Guilân est située au sud de la mer Caspienne. Elle avoisine les provinces d’Ardébil à l’ouest, de Mâzandarân à l’est, et de Zanjân au sud. Le nord du Guilân est limitrophe avec l’actuelle République d’Azerbaïdjan. Les caractéristiques géographiques et climatiques de cette province, très humide et bordée de remparts naturels formés par les hautes montagnes d’Alborz, ont joué un grand rôle dans le maintien de son indépendance jusqu’au XVIIe siècle. L’histoire officielle ne relate en général que les guerres et les invasions ; elle laisse toutefois apparaître la bravoure et la vie difficile des habitants du Guilân qui ont lutté contre les oppressions, depuis l’Antiquité jusqu’au XXe siècle.

Au début de l’ère chrétienne, les Guils habitaient dans les plaines du littoral de la mer Caspienne et les Deylams vivaient dans les montagnes d’Alborz. Le fleuve Sefidroud était la frontière entre Bia-pas et Bia-pish.
Photo du Guilân prise par satellite

Les anciens habitants du Guilân

L’histoire du Guilân est peu documentée jusqu’au milieu du Ier millénaire av. J.C. Les fouilles archéologiques montrent cependant que le littoral sud de la mer Caspienne était habité avant la dernière glaciation ; les traces de vie remontent à une période que l’on estime entre 50 000 et 150 000 ans. La mer Caspienne a été nommée ainsi du fait que les Kâssi (les Caspiens) étaient les habitants de la zone occidentale du littoral sud de ce grand lac quand cette région fut envahie par les tribus aryennes, c’est-à-dire au cours du IIe millénaire av. J.C. Au cours du Ier millénaire, les Kâdous (les Cadusiens) vivaient dans la partie occidentale du littoral sud de la mer Caspienne – en particulier dans les montagnes situées à l’ouest du fleuve Sefidroud - et les Amardous (les Mardes) vivaient dans les plaines du littoral, aux bords du principal fleuve de cette région auquel ils donnèrent leur nom : le fleuve Sefidroud était appelé Amardous au cours de l’Antiquité. Plus à l’est, dans la région qui correspond à l’actuelle province du Mâzandarân, vivaient les Tapours, et encore plus à l’est, dans la région qui correspond à l’actuelle province du Golestân, vivaient les Hyrcaniens. Vers la fin du VIIIe et le début du VIIe siècle av. J.-C., les frontières de l’Empire mède s’étendaient jusqu’au sud du territoire des Cadusiens et des Mardes, mais ces peuples, qui n’étaient pas subordonnés aux Mèdes, s’allièrent à Cyrus le Grand, fondateur de l’Empire achéménide, dans sa guerre contre ces derniers. Il semble que lors de la conquête de la Perse par Alexandre, la région du Guilân soit restée à l’abri de l’armée macédonienne.

A partir du IIe siècle av. J.-C., on voit apparaître le nom de deux peuples vivant dans la région correspondant à l’actuelle province du Guilân ; ce sont les Guils et les Deylams. Certains historiens pensent que les Guils et les Cadusiens n’étaient en fait qu’un seul peuple que les Grecs nommaient « Cadusiens », alors que les habitants de l’Asie les appelaient « les Guils ». D’autres historiens pensent par contre que les Guils ont migré au IIe siècle av. J.-C. (peut-être à partir de la région du Daguestan) pour venir s’installer sur le littoral du sud de la mer Caspienne, à l’ouest du fleuve Sefidroud qu’ils traversèrent par la suite pour supplanter les Mardes avec le concours des Deylams. Les Guils et les Deylams étaient très probablement de la même ethnie ; ils parlaient une langue similaire, que les autres Iraniens ne comprenaient pas. La seule différence entre eux était leur lieu d’habitation : les Guils habitaient dans les plaines du littoral, et les Deylams vivaient au sud de ces plaines, dans les montagnes d’Alborz. Le territoire des Guils et des Deylams était appelé Deylamân à l’époque sassanide et au cours des premiers siècles de l’Hégire. Plus tard, cette même région fut appelée Guilân.

Lors de l’arrivée au pouvoir des Sassanides, le littoral sud de la mer Caspienne (région englobant les provinces actuelles du Guilân et de Mâzandarân) avait un souverain nommé Goshnâsp, de la dynastie des Jassanfashâh. Ardéchir Ier (224-241), fondateur de la dynastie sassanide, conquit le territoire de Goshnâsp, qui se soumit au roi sassanide et accepta de payer un tribut ; cependant, il semble que les rois de la dynastie des Jassanfashâh continuèrent à régner sur le littoral sud de la mer Caspienne et les montagnes Alborz, et réussirent à maintenir leur territoire quasi-indépendant jusqu’à la fin du VIe siècle. En 590, il semble que les Deylamân s’allièrent avec l’oncle de Khosrô II (590-628) pour empêcher l’intronisation de ce dernier. Khosrô II attaqua Deylamân quand il arriva au pouvoir, et obligea le souverain de cette contrée à se soumettre à lui et à payer un tribut annuel. Les guerriers guils et deylams étaient réputés pour leur bravoure dans les combats, si bien que les rois sassanides octroyaient le titre de « Guil des Guils » [1] aux meilleurs chefs de leur armée. Les Guils et les Deylams étaient employés comme mercenaires par les rois sassanides. Shâpour Ier (241-272), roi sassanide, fonda la ville de Ghazvin pour contrer leurs attaques aux pays limitrophes à leur territoire.

La situation du Deylamân après la conquête de la Perse par les Arabes musulmans

La première guerre entre les Arabes et les guerriers Guils et Deylams eut lieu en l’an 18 de l’Hégire (639 de l’ère chrétienne). L’armée des Guils et des Deylams combattit les Arabes à Vâjroud - lieu situé entre Hamadân et Ghazvin - et empêcha leur progression. Les troupes arabes se divisèrent alors en deux groupes, l’un s’achemina vers le nord-ouest et conquit l’Azerbaïdjan, l’autre se dirigea vers le nord-est et conquit le Khorâssân. La région de Deylamân resta hors de portée de l’armée des Arabes. Les Arabes, comme les Sassanides, décidèrent plus tard de faire de Ghazvin une ville de renfort pour lutter contre ces habitants des contrées du nord de l’Iran.

La carte de l’Empire achéménide. Les habitants du littoral sud de la mer Caspienne étaient à l’époque les Caspiens, les Cadusiens, les Mardes et les Hyrcaniens

Au cours du règne des Omeyyades et des Abbassides, les montagnes difficiles d’accès d’Alborz permettaient non seulement aux Iraniens mais aussi aux Arabes s’opposant aux califes - en particulier les descendants de l’Imam Ali, cousin et gendre du prophète - de trouver un abri à Deylamân. Les descendants de l’Imam Ali pensaient que la vie luxueuse des califes était une déviance par rapport à l’islam égalitaire enseigné par le prophète Mohammad. Deylamân était connu à l’époque comme un lieu sûr, où ils pouvaient se refugier. Le souverain du Deylamân et du Tabarestân (région correspondant à l’actuelle province du Mâzandarân) était semble-t-il encore de la dynastie des Jassanfashâh jusqu’à ce que le Tabarestân tombe aux mains des musulmans (en 144 de l’Hégire - 761 de l’ère chrétienne). C’est environ à partir de cette date que le nom de la dynastie des Jostânian apparaît dans les textes comme souverains de Deylamân ; ils régnèrent jusqu’au milieu du XIe siècle. Jostân - qui semble avoir été le fondateur de cette dynastie - donna refuge en 176 de l’Hégire (792 de l’ère chrétienne) à Yahyâ Ben Abdollah, petit-fils de l’Imam Hassan (2e Imam des chiites), connu sous le nom de Yahyâ Deylami. C’était pendant le règne du calife Haroun al-Rashid (786-809). La capitale des rois de la dynastie des Jostân était la ville de Roudbâr située près de la rivière Shâhroud. L’un des rois de cette dynastie y construisit la forteresse d’Alamout en 860-861. Cette forteresse devint plus tard le siège d’Hassan Sabbâh.

Le fleuve Sefidroud a été de tout temps une frontière naturelle entre les deux zones de l’ouest et de l’est du Guilân, appelées respectivement Bia-pas et Bia-pish. [2] La capitale de Bia-pas fut Fouman pendant longtemps et fut transférée à Rasht par la suite ; celle de Bia-pish était Lâhijân. Après la conquête de la Perse par les musulmans, cette subdivision régionale fut renforcée du fait des questions religieuses, car les habitants de Bia-pas se convertirent relativement tôt à l’islam sunnite (comme la plupart des habitants de la Perse), alors que les habitants de Bia-pish conservèrent leurs anciennes croyances religieuses au moins 250 ans après la conquête de la Perse par les musulmans. Biruni, savant iranien du IVe siècle de l’Hégire (Xe siècle), écrit dans son livre intitulé Chronologie [3] que les habitants de Deylamân, avant leur conversion à l’islam, étaient en partie chrétiens et zoroastriens, mais surtout païens. La conversion des habitants de Bia-pish – qui se convertirent d’emblée à l’islam chiite – semble avoir commencé lorsque Hassan ben Zayd se souleva contre les califes abbassides. Hassan ben Zayd prit le pouvoir à Deylamân en 250 de l’Hégire (ce qui correspond à la fin du VIIIe siècle de l’ère chrétienne) et y régna pendant 21 ans. Il combattit les Samanides et conquit la région de Tabarestân. Son frère lui succéda à sa mort et garda le pouvoir pendant 16 ans. Finalement, Ismâil, roi samanide, fut vainqueur lors d’une guerre en l’an 287 de l’Hégire et Deylamân tomba aux mains des Samanides. Néanmoins, cette mainmise des Samanides sur cette région ne dura que 13 ans et prit fin avec un autre soulèvement, celui de Nâsser Kabir, surnommé Otroush. Otroush, descendant de l’Imam Zeyn-ol-Abedin, vivait à Tabarestân. Il se réfugia à Deylamân vers l’an 300 de l’Hégire à cause de l’arrivée des Samanides, et y vécut pendant 14 ans. Otroush remit en place, surtout avec l’aide des pauvres, le gouvernement des descendants de l’Imam Ali. Il distribua les terres agricoles entre les agriculteurs pauvres. La conversion des habitants de Bia-pish au chiisme arriva à son apogée pendant cette période. Otroush décéda vers l’an 314 de l’Hégire.

L’influence des descendants de l’Imam Ali était prégnante surtout dans les plaines du littoral, alors qu’au cours de cette même période, les souverains de la dynastie des Jostâniân et ceux de la dynastie des Mossâferiân étaient en rivalité pour garder le pouvoir dans les montagnes de Deylamân. Les Mossâferiân (également appelés Sâlâriân) - dont le fondateur, Sâlâr fils de Asvâr, était un gendre de Jostân - régnaient dans les régions du nord-ouest de l’Azerbaïdjan et en Arménie. Ils étaient en bons termes avec les Jostâniân jusque vers la fin du IXe siècle, où ils commencèrent à conquérir la région de Samirân située près de la rivière Shâhroud, et prirent le pouvoir à Târom. Les Mossâferiân réussirent progressivement à gagner le contrôle d’une grande partie des montagnes de Deylamân. Les souverains de la dynastie des Jostâniân semblent s’être alors repliés dans la forteresse d’Alamout. Cette rivalité entre les Jostâniân et les Mossâferiân prit également une dimension religieuse : les Jostâniân soutenaient les chiites zaïdites, alors que les Mossâferiân se convertirent à l’ismaélisme et devinrent des ismaéliens actifs. Le prédicateur ismaélien Abou Hâtam Râzi (mort en 934) réussit à convertir un grand nombre des habitants de Deylamân. Plus tard, un autre prédicateur ismaélien, nommé Hassan Sabbâh, concentra ses activités dans les montagnes de Deylamân. Il conquit la forteresse d’Alamout en 1090, qui devint dès lors le lieu de résidence d’Hassan Sabbâh et de ses successeurs. Ainsi, alors que les ismaéliens contrôlaient les montagnes de Deylamân, une partie des habitants du littoral, en particulier autour de la ville de Lâhijân, restait zaïdite. Les Mossâferiân continuèrent à régner dans ces montagnes jusqu’en 1043 environ, c’est-à-dire quelques décades après l’arrivée des Seldjoukides.

Les habitants de Deylamân tentèrent de faire sortir les territoires de la Perse du contrôle des califes arabes au cours du Xe siècle : les frères Bouyides, dont le père était un pêcheur natif de Lâhijân, reconquirent la majorité des régions de l’ouest et du centre de la Perse. Ils conquirent ensuite Bagdad et mirent le calife Abbasside Al-Muti sous leur tutelle.

Les Ghaznavides ne réussirent pas à conquérir le Deylamân, les Seldjoukides non plus. Le Guilân resta hors de portée de Genjis Khân et de ses successeurs pendant environ un siècle. En 1367 (706 de l’Hégire), Eljaitu, roi mongol de la dynastie des Ilkhanides, attaqua le Deylamân. Son armée essuya de lourdes pertes, et Eljaitu dut se contenter d’être reconnu comme empereur et de recevoir un tribut ; Deylamân resta indépendant en réalité et fut gouverné par les rois locaux.

Annexion du Guilân à la Perse par les Safavides

L’ancêtre des rois safavides, qui s’appelait Sheikh Safi al-Din Ardabili, était un soufi. Il fut l’élève de Sheikh Zâhed Guilâni pendant vingt ans (jusqu’à la mort de ce dernier). Cette relation avait engendré une sympathie chez les habitants du Guilân pour les descendants de Sheikh Safi al-Din Ardabili. Ismâil Safavi, arrière petit-fils de Sheikh Safi al-Din Ardabili, se réfugia dans le Guilân après la mort de son père Sheikh Heydar dans une guerre à Shirvan, parce qu’il était poursuivi par le clan des Agh-ghoyounlou. Il avait six ans à l’époque où Kârkiâ Mirzâ Ali, roi de Bia-pish, lui donna l’asile. Kârkiâ Mirzâ Ali était de la dynastie des Kiâ, qui régnèrent à Bia-pish de 769 à l’an 1000 de l’Hégire (1367 à 1591 de l’ère chrétienne). Leur capitale était Lâhijân. Mirzâ Ali garda Ismâil Safavi à l’abri, malgré les menaces des Agh-ghoyounlou.

Les ruines de la forteresse d’Alamout

Au cours de la fin du XVe siècle et du début du XVIe siècle, comme par le passé, la région correspondant à l’actuelle province du Guilân était divisée par le fleuve Sefidroud en deux zones, qui avaient chacune leur souverain. Le souverain de Bia-pas était de la dynastie des Eshâghvand. Les deux souverains de Bia-pish et de Bia-pas étaient en bon termes (Amira Eshâgh avait même épousé la sœur de Mirzâ Ali) jusqu’à ce que le souverain de Bia-pas, qui était sunnite et avait des relations amicales avec un prince du clan Agh-ghoyounlou, tente de dérober Ismâil Safavi pour le rendre à ce clan. Lors d’une bataille qui eut lieu à proximité de Sefidroud entre les souverains de Bia-pish et Bia-pas, l’armée de Bia-pish perdit la bataille et lors du traité de paix, Koutchesfahân fut cédé à Bia-pas. Dès lors, Koutchesfahân fut l’objet de batailles incessantes entre les souverains de Bia-pish et Bia-pas, et leurs successeurs. Ismâil Safavi devint le roi de la Perse en 1502. Dès lors, les souverains de Bia-pish et de Bia-pas lui demandèrent à plusieurs reprises d’intervenir dans leurs désaccords, ce qui ouvrit la voie à la présence de l’armée safavide dans le Guilân. L’armée safavide commit de nombreuses atrocités lors de chacune de ses incursions dans le Guilân, qui subit de nombreuses dévastations à cause de ces guerres incessantes. Lors du règne des Safavides, les deux régions de Bia-pish et Bia-pas furent tantôt gouvernées par un souverain local, tantôt par les chefs de l’armée du roi safavide.

En 1529, le souverain de Bia-pish, Khân Ahmad Khân, alla à la capitale des Safavides (Ghazvin) et déclara son allégeance au nouveau roi safavide, Shâh Tahmâsb (1524-1576). Khân Ahmad Khân était un adepte du chiisme zaïdite. Il fut persuadé par Shâh Tahmâsb de se convertir au chiisme duodécimain. Il convertit les habitants de Bia-pish à son retour dans le Guilân. C’est à partir de cette période que le chiisme duodécimain fut en progression dans le Guilân. Les Safavides firent du chiisme duodécimain la religion officielle de la Perse.

Le roi safavide Shâh Abbâs Ier (1587-1628) était déterminé à créer un gouvernement centralisé fort, et à diminuer le pouvoir de Khân Ahmad Khân, roi de Bia-pish (qui était marié à sa sœur). Shâh Abbâs Ier apprit en 1592 que Khân Ahmad Khân avait envoyé son vizir à la cour ottomane. Il semble que c’est alors qu’il décida de régler définitivement la question du contrôle de la province du Guilân. Il ordonna au commandant de l’armée de l’Azerbaïdjan, Farhâd Khân Gharâmânlou, de conquérir le Guilân. Khân Ahmad Khân demanda alors au tsar de la Russie de le protéger ; celui-ci ne répondit pas favorablement à sa demande. Les troupes de Farhâd Khân entrèrent par Astârâ et Gaskar, et massacrèrent la population. Khân Ahmad Khân s’enfuit avec Mohammad Amin (souverain de Bia-pas) à Shirvan et de là regagna Istanbul. Il espérait gagner l’appui du roi Ottoman pour revenir dans le Guilân, mais il mourut en exil en 1596. Quelques jours après sa mort, Shâh Abbâs Ier arriva à Lâhijân, détruisit complètement le palais de Khân Ahmad Khân, et nomma un gouverneur pour Bia-pish et un autre pour Bia-pas. Ce fut la fin du règne des dynasties locales dans le Guilân. La population se souleva à plusieurs reprises contre les dirigeants nommés par le gouvernement central, à Tâlesh, à Fouman, et à Lasht-e Neshâ où la population fut massacrée par ordre de Shâh Abbâs Ier. A la mort de ce dernier, la population de Lasht-e Neshâ se souleva à nouveau contre le gouverneur du Guilân, en se regroupant autour d’un homme qui déclara être un descendant d’Amira Jamshid Khân (ancien souverain de Bia-pas). La population le surnomma Adel Shâh (ou Gharib Shâh), le suivit, et se mit à tout détruire sur son passage (les maisons, les marchés, la résidence du gouverneur de Lâhijân, etc.). Adel Shâh fut capturé et envoyé à la cour safavide, à Ispahan, où il fut exécuté.

Le Guilân au cours du XVIIIe siècle, occupation par les troupes Russes

Les tsars avaient depuis longtemps des vues sur le littoral sud de la mer Caspienne ; mais la première véritable tentative de la Russie pour occuper cette région eut lieu au cours du règne de Pierre Ier le Grand (1696-1725), qui voulait avoir le contrôle des transactions commerciales entre l’Europe et l’Asie, et désirait faire de la mer Caspienne une mer Russe. Artemy Volinsky, qu’il envoya à la cour safavide en 1715, l’informa que la dynastie safavide était très affaiblie. L’armée russe commença à conquérir le littoral sud de la mer Caspienne en 1722 en occupant Darband, mais se retira à Astrakhan à cause des avancées ottomanes dans le nord-ouest de la Perse. Cependant, le gouverneur du Guilân, qui craignait que les tribus afghanes envahissent la province, envoya un message au tsar et lui demanda d’envoyer une garnison à Rasht. Cette ville était assiégée par Zebardast Khân Afghan. Il semble que la demande du gouverneur du Guilân au tsar avait été faite avec l’accord du roi safavide Shâh Tahmâsb II. Les deux bataillons Russes que le tsar envoya s’installèrent dans un caravansérail près de Rasht. Entre temps, Shâh Tahmâsb II avait changé d’avis : il demanda le retrait immédiat des Russes. Les troupes du gouverneur du Guilân utilisèrent la force, mais ne réussirent pas à déloger les Russes. Le tsar envoya quatre autres bataillons, qui arrivèrent dans le Guilân en 1723. Le commandant de ces bataillons fut nommé gouverneur du Guilân par le tsar la même année, à la suite du traité d’alliance qu’Ismâil Beg (l’envoyé du roi safavide à la cour de Pierre Ier le Grand) signa avec le tsar. Selon ce traité, les régions du Guilân, Mâzandarân, Astarâbâd [4], Tâlesh, Bakou, et Darband furent cédées à la Russie. En 1727, les troupes russes vainquirent les forces afghanes qui s’étaient avancées jusqu’au Guilân. Selon l’accord de 1729, signé à Rasht entre les Russes et les Afghans, ces derniers cédèrent la ville de Roudbâr aux Russes en contrepartie de la reconnaissance de leur souveraineté sur le reste de la Perse. Mais ce traité devint lettre morte quand Nâder Afshâr vainquit les Afghans à Ispahan, et que le chef de ces derniers fut tué alors qu’il s’enfuyait vers Ghandahâr. Les troupes Russes continuèrent à occuper le Guilân jusqu’en 1734. Deux traités entre les Russes et Nâder Afshâr (celui de Rasht en 1732 et celui de Ganja en 1735) aboutirent au retour de tous les territoires annexés par les Russes au sol de la Perse.

Le déclin des Safavides au cours des premières décades du XVIIIe siècle entraîna un chaos dans tout le pays. La division du Guilân en deux régions de Bia-pish et Bia-pas fut maintenue pendant cette période. Les chefs locaux tentèrent cependant de garder ces régions à l’abri des assauts de ceux qui arrivaient au pouvoir en Perse à tour de rôle, en leur payant des tributs. La dynastie Eshâghvand continua à régner à Fouman, capitale de Bia-pas, mais des gouverneurs furent également nommés par les souverains successifs de la Perse que furent Nâder Shâh Afshâr, Karim Khân Zand et Aghâ Mohammad Khân Qâdjâr. Lors du règne de Nâder Shâh Afshâr, le Guilân payait un tribut au trésor public qui était excessif, ce qui eut pour conséquence deux émeutes, l’une à Tâlesh en 1744 qui dura deux ans, l’autre à Gaskar, qui débuta en 1746 et se poursuivit jusqu’en 1747 (année où Nâder Shâh Afshâr fut assassiné). Nâder Shâh Afshâr tenta de créer une force navale dans la mer Caspienne pour rivaliser avec les Russes. Un anglais, John Elton, fut chargé de construire des bateaux à Langaroud ; mais cette entreprise prit fin à la mort de Nâder Shâh Afshâr. Ce fut ensuite une période d’anarchie. Les deux tribus zand et qâdjâre luttaient pour acquérir le pouvoir en Perse, et le gouverneur de Guilân changeait au gré de la prise de pouvoir de chacun des deux clans à Guilân. Au cours de cette période, le seul élément de rattachement du Guilân à la Perse fut la soie que les autorités de cette province donnaient au roi en guise de tribut.

Le Guilân était historiquement divisé en deux régions (Bia-pas et Bia-pish) par le fleuve Sefidroud

Aghâ Mohammad Khân Qâdjâr élimina les Zand en 1770. Il était déterminé à rétablir un gouvernement centralisé, et confia à son frère Mortezâgholi Khân la charge de conquérir le Guilân en 1781. Hedâyatollah, le gouverneur de Rasht, réussit à empêcher l’invasion du Guilân par les troupes qâdjâres en envoyant deux émissaires à la cour d’Aghâ Mohammad Khân avec des cadeaux. Le désir d’indépendance de Hedâyatollah Khân l’amena à demander la protection de la Russie en 1787 (ce qui était un acte de défiance envers le roi qâdjâr), mais il refusa la demande de la Russie qui voulait le port d’Anzali. La Russie encouragea alors Aghâ Mohammad Khân à envahir le Guilân. Les soldats qâdjârs arrivèrent à Rasht et Hedâyatollah Khân fut vaincu. Il tenta de se réfugier en Russie, mais fut rendu par les Russes au dernier survivant de la famille d’Aghâ Rafi Shafti (que Hedâyatollah Khân avait fait exécuter avec ses cinq frères). Les historiens estiment que le Guilân prospéra sous Hedâyatollah Khân, qui encouragea de nombreux commerçants arméniens, russes et indiens à venir s’installer à Rasht, ce qui permit le développement du commerce entre le Guilân et les pays étrangers.

Le Guilân au cours du XIXe siècle, voie d’ouverture de l’Iran vers l’Europe

Au cours du XIXe siècle, d’importants changements sociopolitiques survinrent en Iran, en partie du fait de la politique coloniale de l’Angleterre et de la Russie. L’expansion du commerce avec ce pays (qui investit près de 1,3 million de roubles dans le port d’Anzali), l’augmentation du transport maritime dans la mer Caspienne, et le développement du transport routier entre Téhéran et Anzali via Ghazvin et Rasht (concomitamment au développement de la voie ferrée entre Anzali et Bakou) firent du Guilân le pôle de contact économique, politique et culturel entre l’Iran et l’Europe au cours des dernières décades du XIXe siècle.

La division traditionnelle du Guilân entre Bia-pas et Bia-pish, et le contrôle de chacune de ces deux régions par une autorité locale persista jusque vers le milieu du XIXe siècle, et disparut au cours de la deuxième moitié du siècle, quand le Guilân sortit progressivement de son isolement du fait du développement des transports que nous avons évoqués plus haut. Les gouverneurs de la province furent désormais nommés par le gouvernement central de la Perse. Les Qâdjârs nommèrent même à quelques reprises des princes de leur famille à ce poste, preuve que cette province était importante à leurs yeux. Le Guilân vit défiler une trentaine de gouverneurs au cours du XIXe siècle, dont vingt ne restèrent à ce poste qu’un ou deux ans. Le rôle principal de ces gouverneurs était de collecter les taxes pour la trésorerie royale, avec l’assistance des Khâns locaux. Les gouverneurs n’hésitaient pas à soutirer le plus de taxes possible à la population, ce qui fut la cause de multiples soulèvements populaires (en 1851 et 1861 à Rasht, en 1869 à Tâlesh, en 1872 à Tâlesh et Anzali, en 1874 dans plusieurs régions du Guilân dont Tâlesh, en 1875 à Tâlesh et Lâhijân), tous mâtés par les forces du gouvernement central. En 1878, le roi Nâssereddin Shâh (1848-1896) vint lui-même dans le Guilân pour arrêter les chefs des tribus Tâleshi et les emprisonner à Téhéran. L’année suivante, Nâssereddin Shâh nomma son fils préféré, Kâmrân Mirzâ (qui était par ailleurs gouverneur de Téhéran et ministre de la guerre) gouverneur du Guilân. De nouveaux soulèvements populaires éclatèrent en 1884 à cause des taxes excessives. Le représentant du gouverneur fut tué à Lâhijân lors d’une émeute.

L’influence de la Russie avait augmenté au cours du XVIIIe siècle dans le Guilân ; elle s’intensifia au XIXe siècle (surtout après les guerres qui eurent lieu entre la Perse et la Russie) du fait des échanges commerciaux qui étaient devenus plus faciles depuis l’instauration par la Russie d’un transport maritime sur la mer Caspienne. L’exportation des produits agricoles du Guilân (le riz, l’olive, la soie) prit de l’essor. Au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle, la pêche se développa dans le Guilân, en particulier celle de l’esturgeon (qui vit essentiellement autour de l’embouchure du fleuve Sefidroud) pour en extraire le caviar. Cette industrie de la pêche fut développée par les Russes et les Arméniens. Stepan Lianozov, un arménien de nationalité russe, obtint par le roi de la Perse le droit exclusif de développer la pêche le long des côtes persanes de la mer Caspienne. William George Abbot, consul d’Angleterre à Rasht en 1876, écrit dans l’un de ses rapports qu’au cours de la saison de pêche, plus de mille ouvriers travaillaient pour Lianozov. Cependant, ce n’étaient pas des habitants du Guilân : la plupart d’entre eux venaient de Bakou et de Lankarân. Abbot écrit également que le nombre d’ouvriers russes qui travaillaient à Anzali était tellement important qu’Anzali ressemblait à un port russe.

L’essor du commerce avec les pays étrangers aboutit à une certaine prospérité de la province au XIXe siècle, qui devint l’une des quatre provinces ayant le revenu le plus élevé de la Perse. Ces revenus augmentèrent avec la mise en place de l’administration des douanes en 1897. Mais cet essor profitait surtout aux grands propriétaires terriens, aux proches de la famille royale et aux commerçants. Les paysans et les ouvriers citadins continuaient à avoir des conditions de vie difficiles. La présence des marchands et ouvriers étrangers (russes, arméniens, grecs) dans le Guilân permit à la population de cette province de prendre connaissance des mouvements sociaux de l’Europe, et le Guilân devint par ce fait l’une des provinces pionnières de la Perse dans les mouvements de protestations ouvrières. Rasht fut, aux côtés de Téhéran et de Tabriz, l’une des villes phares dans les mouvements de contestation qui aboutirent à la Révolution constitutionnelle de 1906. En 1907, l’Angleterre et la Russie se partagèrent la Perse en zones d’influence, et le Guilân fut occupé par la Russie. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, quand l’Angleterre tenta d’imposer un traité de protectorat au gouvernement de la Perse, les habitants du Guilân (surtout les paysans pauvres) soutinrent la lutte armée dirigée par Mirzâ Koutchek Khân, pour instaurer une république et mettre fin à l’occupation de l’Iran. Ce soulèvement populaire, connu sous le nom de Nehzat-e jangal (la Révolte de la forêt), fut définitivement mâté en 1920-1921 par le gouvernement de la Perse, avec l’accord tacite de l’Angleterre et de la Russie.

Bibliographie :
- Zendehdel, Hassan, et collaborateurs, Ostân-e Guilân (La province du Guilân), guide n° 22 de la collection des guides pour voyager en Iran, Ed. Irângardân, Téhéran, 1379 (2000).
- Ghorbâni, Mohammad-Ali, Pishineh-ye târikhi va farhangui-ye Lâhijân va bozorgân-e ân (Le passé historique et culturel de Lâhijân et ses célébrités), Ed. Sayeh, Téhéran, 1375 (1986).
- Ravasani, Shâpour, Nehzat-e jangal, zamineh-hâye ejtêmâ’i (La Révolte de la forêt, les contextes sociaux), Editions du bureau de recherches culturelles (Iran culture studies), Téhéran, 1381 (2002).
- Mourre, Michel, Le petit Mourre, Dictionnaire d’histoire universelle, Ed. Bordas, 2004.
- Les articles suivants de l’Encyclopaedia Iranica, consulté sur son site officiel à l’adresse www.iranica.com le 28 juillet 2010 :


- Iran, Peoples of Iran (2) Pre-Islamic
- Gilan, History in the Early Islamic Period
- Deylamites
- Gilan, History under the safavids
- Gilan, History in the 18th century
- Gilan, History in the 19th century

Notes

[1« Guil-e guilân » en persan.

[2Bia-pas signifie « derrière le fleuve » et Bia-pish « devant le fleuve » en langue guilaki. « Bia » signifie « eau » en langue guilaki.

[3الآثار الباقیة عن القرون الخالیة

[4Les ruines d’Astarâbâd font partie actuellement de la ville de Gorgân.


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