N° 88, mars 2013

Djavâd Modjâbi,
humoriste et poète contemporain iranien


Khadidjeh Nâderi Beni, Mahnâz Rezaï


Né en 1939 à Ghazvin, Djavâd Modjâbi est un humoriste, poète, écrivain et journaliste contemporain iranien. Rédacteur en chef de la Revue littéraire Donyâ-ye Sokhan (Le monde de la parole) pendant un temps, il a publié de nombreux ouvrages. Il est l’une des figures culturelles contemporaines importantes de l’art et de la littérature iraniens.

En art, Modjâbi croit au modernisme et aux arts nouveaux. Dans son œuvre, surtout dans son roman Bâgh-e Gomshodeh (Le Jardin Perdu), le passage de la tradition à la modernité entraîne des difficultés et des contradictions pour le protagoniste. Modjâbi y dresse le portrait d’intellectuels iraniens passifs.

Ses ouvrages, comme il l’avoue lui-même, sont marqués par le « surréalisme socialiste ». D’une part, il est engagé dans l’imaginaire et de l’autre, il dépeint la réalité de la société. C’est dans la lutte entre la réalité et le rêve que son « surréalisme socialiste » trouve sens. Ce même surréalisme se retrouve dans ses poèmes. Selon Modjâbi, confondre les deux aspects contradictoires de la réalité matérielle et du rêve est bien difficile.

Poète, peintre, chercheur littéraire, critique d’art, journaliste et romancier, Modjâbi est l’auteur d’ouvrages qui sont pour la plupart des best-sellers en Iran. Il est à ce titre l’un des plus importants représentant de la littérature contemporaine persane. Docteur en droit, il était autrefois journaliste au journal Etelâ’at (de 1968 à 1979). Il a collaboré avec de nombreuses revues littéraires comme Ferdowsi, Djahân-e Now, Adineh, etc. Modjâbi a consacré quarante ans de sa vie à des activités littéraires professionnelles. Il est un des poètes qui, depuis une cinquantaine d’années, a essayé de donner une forme et un contenu autonome à sa poésie. Il s’est donc démarqué de la poésie lyrique et romantique, et a tenté d’introduire des concepts nouveaux dans sa poésie. Cependant, il croit au rythme. Certains mots dans sa poésie sont sans rapport avec le sens et sont là pour préserver le rythme. Certains de ses poèmes sont consacrés à la description d’un souvenir, ou d’un thème. Il raconte quelquefois en donnant à sa narration une forme plus ou moins poétique. Ses poèmes ne sont parfois que des histoires narrées linéairement.

Djavâd Modjâbi

Outre la publication de poèmes et de romans, il a également fait des recherches sur les néologismes dans le domaine de l’art conceptuel en Iran. Ses études en art contemporain persan l’ont conduit à rédiger une étude analytique et biographique des œuvres des peintres et des sculpteurs iraniens contemporains en six volumes. Il est également l’auteur d’importantes recherches sur l’histoire de l’humour en rapport avec la situation sociale dans les textes littéraires persans depuis mille ans.

En divisant les écrivains et les poètes contemporains iraniens en trois générations (la première comprenant des auteurs tels que Sâdegh Hedâyat et Nimâ Youshidj, la deuxième des écrivains comme Akhavân Sâles, Sohrâb Sepehri et Ahmad Shâmlou, et la troisième génération étant la génération contemporaine), Modjâbi se classe lui-même dans la troisième génération des poètes, écrivains et chercheurs iraniens. Dans son livre Negâh-e Kâshef-e Gostâkh (Le regard inventif hardi), il estime que cette troisième génération a continué à développer les expériences sociales des deux générations précédentes. Les écrivains de la troisième génération sont généralement connaisseurs d’autres branches de l’art et sont souvent actifs dans le domaine de la presse.

Ceci dit, Modjâbi est surtout connu pour son travail d’humoriste. Ses ouvrages traitent de l’humour dans toutes ses catégories soit verbal, soit pictural. Ahamiyat-e Hassan Boudan (L’importance d’être Hassan) est l’une de ses histoires humoristiques les plus connues. D’un humour noir rappelant les nouvelles de Bahrâm Sâdeghi, cette nouvelle fait partie du recueil Aghâ-ye Zouzanagheh (Monsieur le Trapèze).

L’importance d’être Hassan

- Pour son voisin, Hassan est un voisin ; pour son épouse, le mari et pour les autres, seulement « Hassan ».

On peut le voir dans la rue.

Vous pouvez lui demander de bêcher votre jardin, Hassan bêchera votre jardin.

Hassan porte votre charge sur son dos et vous suit pour que vous puissiez la faire parvenir à un lieu et pour qu’il peigne aussi les chambres. Hassan peint même les chambres.

Si vous criez, il restera muet.

Si vous lui reprochez quelque chose, il restera muet.

Si vous lui donnez un repas du soir d’avant, il restera muet.

Vous pensez qu’il est un mouton. Il croit que vous êtes un loup.

- Hassan est un homme doux.

Dans la rue, il regarde doucement les affiches.

Dans les meetings, il crie doucement.

Dans les cérémonies de deuil, il pleure doucement. A la maison, si le dîner est prêt, il dîne doucement. S’il n’y a pas de dîner, il bat sa femme doucement.

- Hassan se contente de peu.

Il mange du pain et boit du thé le soir, aussi bien que le midi. Mais il peut bien commencer sa journée sans prendre le petit déjeuner. Hassan a un samovar russe que sa femme nettoie et fait briller chaque jour. Hassan aime le barbari [1]. Mais il n’a pas l’habitude de séparer la mie du barbari.

Hassan croit que le sirop de sekandjebin [2] est bon. Et il croit que de nos jours, le bon sekandjebin ne se trouve plus.

- Hassan est un homme non informé.

Il ne sait pas que les journaux sont publiés pour lui. Il ne regarde que les photos dans les journaux. Il ne sait pas que les banques lui donneraient des récompenses pour son compte bancaire bien fourni.

Il ne sait pas que les poètes moustachus font des rimes pour lui. Il porte lui-même une moustache.

Quand on lui dit qu’il est un homme ignorant, il dit seulement : vraiment ?

- Dans la maison d’Hassan personne n’est libre.

Quand on lui dit qu’autour de lui il se passe beaucoup de choses d’importance, il ne perd pas contenance.

Son fils aîné forge des fers à cheval dans la forge.

Hassan est heureux que le métier de son fils soit utile pour la société. Son deuxième fils vend des billets. Hassan est content que son fils partage le bonheur des autres. Son cadet brise les vitres des fenêtres des voisins. Hassan se dit : « اa aussi, c’est un travail. » Et il bat son fils.

Hassan a deux filles. L’une est assez âgée pour ne rien faire. L’autre est assez jeune pour être en état de faire quelque chose.

Hassan pense à marier ses filles. Sa femme aussi pense à marier ses filles. Mais le mari convenable va toujours demander la main des filles des voisins.

- Hassan est joyeux dans les cérémonies de deuil et triste dans les fêtes. Toutefois, le feu d’artifice lui plaît.

Il aime rapporter des lampes tricolores.

(…)

- Hassan a déchiré une fois son col dans la rue.

A l’asile d’aliénés et au commissariat de police, on a dit que c’était à cause de la chaleur.

Hassan a donc décidé de déchirer son col un jour d’hiver.

- Hassan habite dans la capitale.

Autrefois, il dormait au pied d’un mur, puis dans une brouette, et puis dans un magasin. Enfin, il s’est marié et dort dans une chambre. Mais dès que l’occasion se présente, il va se coucher en plein air.

Chaque fois qu’Hassan raconte l’histoire de sa vie, ses enfants disent : « Nous aussi, nous voulons nous coucher au pied d’un mur. »

Leur mère leur donne du pain et du thé et les couche. Ensuite, énervée, elle le traite de « rustique ».

Hassan demande : « Tu ne l’es pas péquenaud toi ? »

Elle dit : « Non, jamais de ma vie. C’était mon père qui l’était. »

Deux poèmes de Djavâd Modjâbi

Le batelier du brouillard

La famille, nombreuse et frivole,

Dans un bateau,

Va à la mer.

Ils chantent et rient à un jour nouveau.

Ils s’éloignent de nous,

Et s’approchent d’un vert profond.

Confus, le brouillard campe derrière le bateau.

La mer est plus proche de la mort que le bateau,

Qui de temps en temps se perd

Dans un espace sans éclat et invisible.

Le batelier ramène à la plage leur place libre.

Sans les chants et les rires neufs qui se perdirent avec eux.

Leur souvenir ne prend plus de place sur la plage

Même dans le cadre d’une photo de souvenir.

Quelques mots adressés au prétentieux

Le « mot » ne vieillit pas et son sens

Devient plus jeune et plus beau de jour en jour.

Et cela surtout dans la poésie,

Et dans la prose parfois pour toi.

Juste contraire à l’homme

Dont le corps devient engrais et le souvenir, cendrier

Par la serpe de la mort.

Alors ! Que tu es audacieux

D’avoir présenté au marché

Du cendrier jeune et de l’engrais beau !

Bibliographie :
- Modjâbi, Djavâd, Majmoueh-ye Ash’âr (Recueil de poèmes), Téhéran, éd. Negâh, 1999.
- , Negâh-e Kâshef-e Gostâkh (Le regard inventif hardi), Téhéran, éd. Ofogh, 2001.
- , Shenâkht nâme-ye Djavâd Modjâbi (Présentation de Djavâd Modjâbi), Téhéran, éd. Ghatreh, 2004.

Notes

[1Sorte de pain iranien.

[2Sirop fait de vinaigre et de sucre.


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