N° 88, mars 2013

L’histoire de la langue persane et sa découverte en Occident


A. Rouhbakhshân
traduit par

Anâhitâ Sâdât Ghâemmaghâmi


Il y a presque sept cents ans, les marins chinois récitaient et chantaient les poèmes du Persan Saadi en naviguant et dansaient sur la musique de ces poèmes. Ces poèmes sont entrés en Chine par les routes, par l’Inde et le Bengale, ou ont été diffusés grâce aux Iraniens eux-mêmes, commerçants et marins qui, en ce temps là, dominaient les mers de l’Inde. Ces poèmes de Saadi ont ouvert le chemin pour que « la douce langue persane » du Khâjeh de Shirâz Hâfez parvienne au Bengale. En effet, aujourd’hui, la présence de la langue française en Inde et au Bengale date d’un peu moins de mille ans. [1] Jusqu’au début du siècle dernier, en Inde, colonie de l’Angleterre, la langue persane était langue officielle, langue de cour, ainsi que langue littéraire. La langue persane y avait une telle importance que lorsque les missionnaires chrétiens se rendaient en Inde aux XVIe et XVIIe siècles, ils « étaient obligés d’apprendre la langue persane, puisque cette langue était non seulement la langue officielle (de la cour) mais aussi la langue des milieux éduqués, lettrés et culturels de l’Inde. » [2] Ces pères, qui s’étaient installés en Inde depuis le temps de l’arrivée des Portugais, ont inventé de fausses histoires en écrivant des livres en persan dont l’objectif était de réfuter l’islam et de diffuser le christianisme, - histoires dont on peut notamment voir des exemples dans l’intéressant ouvrage d’Abdol Hâdi Hâeri. [3] N’oublions pas que de nos jours, la même chose se fait d’une autre manière. Parmi ces missionnaires, on peut citer le nom de Jérôme Xavier qui, avant d’aller en Inde, a appris la langue persane pendant huit ans. Plus tard, durant son séjour à Lahore, il écrivit quelques ouvrages prosélytes en persan à l’aide d’un des habitants de Lahore, Abdolsamad Ghâssemi. On peut notamment nommer L’histoire de Jésus, L’histoire de Saint Pedro et Le miroir de la vérité, ouvrages dont les deux premiers ont été traduits en latin par un autre missionnaire qui les a publiés en 1639, en Italie, en ajoutant des textes en persan.

Les premières rencontres

Sans entrer dans le détail des recherches du défunt professeur Fereydani, contentons-nous de souligner que durant des siècles, la langue persane fut la langue courante des affaires, la langue officielle, culturelle et commerciale des pays situés à l’est de l’Iran. Elle a également eu une grande importance en tant que langue commerciale, voire même officielle, dans certaines régions de l’ouest et du nord-ouest de l’Iran, c’est-à-dire l’Asie mineure ainsi qu’à l’est et au sud-est de l’Europe, depuis l’époque seldjoukide jusqu’à la fin de la période safavide.

En ces temps-là, trois langues essentielles dominaient en Orient et Occident : l’arabe, dans les pays du centre, au sud et à l’ouest, c’est-à-dire les territoires de l’Islam (le Proche-Orient, ainsi que le nord et le sud de l’Afrique), le persan dans les territoires orientaux et le nord de ces territoires, ainsi qu’à l’est de l’Europe, et le latin dans la majeure partie de l’Europe centrale, du sud et de l’ouest.

A propos de la présence de la langue persane dans les territoires orientaux et le sud de l’Europe, ainsi que son niveau d’usage, outre les correspondances publiées des khans mongols avec les rois d’Europe, nous pouvons également en déceler d’autres traces.

Tout d’abord, la présence de mots iraniens et persans dans les langues occidentales, parfois tels quels, parfois avec un changement de forme et de fond, transmis directement ou bien au moyen notamment des langues arabe, grecque ou turque, ou même d’autres langues. Par exemple, en 1080, le mot persan lâjevard (azur) est entré en langue française, a changé de forme et est devenu "azur". Le nombre de ces mots et dérivés atteint au moins 140 [4], et sont encore lus nombreux en anglais. Il existe à ce propos un ouvrage de référence, bien qu’il n’ait pas retenu l’attention des professeurs et des linguistes. [5] L’entrée de ces mots dans les langues européennes s’est fait probablement en même temps que les exportations d’articles et de produits de l’Iran et des territoires de l’Orient vers l’Occident.

La seconde et importante preuve de l’influence du persan est l’existence de nombreux dictionnaires bilingues ou multilingues traduisant le persan en d’autres langues et vice-versa. Le plus ancien dictionnaire occidental connu est le dictionnaire persan-latin-romain, dictionnaire italien appartenant au poète italien Francesco Pétrarque. Il l’avait offert à la bibliothèque de la ville de Venise. Ce dictionnaire écrit en 1303 (682 du calendrier iranien), a été corrigé et imprimé en 1828 à Paris. [6] Il faut se rappeler que Pétrarque est mort quinze ou vingt ans avant le décès de Hâfez. [7]

Après ce dictionnaire, le dictionnaire trilingue Codex Comanicus fut écrit en 1324 ou 1325 (703 ou 704 du calendrier iranien), ses trois langues étant le persan, le couman et le latin. Ce dictionnaire a été imprimé à la fin du siècle dernier par les efforts de Geza Kuun. Les Coumans, Coumen ou Quman étaient un peuple turc qui, entre les IXe et XIIIe siècles, occupait les territoires du sud de la Russie, des montagnes de l’Oural au Danube. Cette région, comme le disaient les écrivains de l’Orient, se nommait Qabchaq. Ce peuple s’est finalement intégré aux Mongols et a disparu. [8]

Ce mouvement de rédaction de dictionnaires montre l’importance, la nécessité et le développement continu de l’étude de la langue persane, parfois de façon intermittente, atteignant son apogée au XVIe siècle. Certaines bibliographies citent une liste plus ou moins complète de ces dictionnaires. [9] Citons également l’un de ces ouvrages, Le trésor de la langue persane, en quatre langues : persan, français, latin et italien en 1684 (1063 de l’année solaire) à Amsterdam. Ce livre a été le sujet d’un article de recherche rédigé et publié par Karim Mojtahedi dans la revue Ayandeh. [10]

La troisième raison est l’existence de plusieurs livres consacrés à la grammaire persane, au vocabulaire persan et même aux proverbes persans rédigés et publiés par des Européens. Par exemple, l’Anglais John Greaves, a rédigé en 1652 (1031 de l’année solaire) un dictionnaire en persan contenant six mille mots courants, ainsi qu’une grammaire de la langue persane (écrite en latin). [11] Peu après Levinus Warner, qui a étudié et appris la langue persane à Laden, a publié un livre en 1654 intitulé Les sentences persanes. [12] La plupart de ces sentences sont tirées du Golestân (Le jardin des Roses) de Saadi. La traduction en latin du Golestân avait été publiée trois ans auparavant. Peu après, un prêtre du nom d’Ignace de Jésus, qui s’était auparavant rendu en Iran, a écrit en 1640 (1019 de l’année solaire) une Grammaire de la langue persane [13] publiée en 1661 (1040 de l’année solaire) à Rome. Ignace, missionnaire, avait séjourné en Iran avec un autre missionnaire, Louis de Dieu. Ce dernier a également écrit un livre de grammaire intitulé Les éléments de la langue persane. Il a ajouté à ce livre les deux premiers chapitres du livre Evolution, déjà traduit par Jacques Tavous sous forme d’un texte supplémentaire, et a publié ces trois parties ensemble. Durant la première moitié du XVIIe siècle, un autre prêtre, le Père Aimé Chezaud, est venu en Iran et a séjourné à Ispahan. Il connaissait bien toutes les langues orientales et a écrit un dictionnaire sur la langue persane, ainsi qu’un manuel religieux qu’il a offert au chancelier d’Iran.

La quatrième raison est le développement du mouvement de traduction de la langue persane en langues européennes. Ce mouvement avait déjà commencé avec la traduction des œuvres scientifiques et philosophiques en latin. Mais durant l’ère safavide, avec la traduction des œuvres historiques et littéraires de langue persane, le mouvement prit de l’ampleur. Par exemple, à la fin du XVIe siècle, un Italien (ou d’après les Italiens, un Portugais) nommé Teixera, voyageur et aventurier, est arrivé à l’île de Hormoz (au sud de l’Iran) et y a séjourné pendant quelque temps. Il avait appris la langue persane et avait à sa disposition un exemplaire du livre Rowzât-ol-Safâ de Mirkhand dont il avait tiré le nom des rois de l’Iran, du premier jusqu’à Shâh Abbâs Ier le Safavide. En plus, il possédait un précieux exemplaire du Tazkerat-e Hormoz de Tourân Shâh Hormozi, dont aucun exemplaire n’a été retrouvé à ce jour. Teixera résuma cet ouvrage. Il est ensuite allé de Hormoz à Bassora, de Bassora en Europe et a publié ses livres.

En 1641, Gilbert Gaulmyn, un noble de la cour de France, a offert la traduction française du livre Nehzat-ol-Gholoub de Hamdollâh Mostofi au cardinal de Richelieu. La traduction française du livre Anvâr-e Soheyli de Mollâ Hossein Vâez-e-Kâshâni a été publiée en France en 1644 (1023 de l’année solaire) sous forme d’un résumé incomplet. [14] En 1652 (1030 de l’année solaire), la traduction latine du Golestân de Saadi a été publiée en France par Genitus. Genitus avait acquis une connaissance approfondie des langues orientales dont le turc, l’arabe et le persan à l’école de Liden. L’Anglais Thomas Hyde a traduit en latin, en même temps que Greaves, le livre Boustân (Le Verger) de Saadi et le Bahârestân de Djâmi. Il est considéré comme le premier orientaliste anglais. Et enfin le Père Ange Saint Joseph est arrivé à Ispahan le 4 novembre 1664 et a appris le persan chez le Père espagnol Lazare. Outre un dictionnaire en quatre langues, persan-français, italien-latin, dont nous avons déjà parlé, il a aussi traduit un livre médical du persan au latin intitulé Analyse des composantes identiques avec la méthode perse [15] qu’il a publié à Paris en 1681 (1060 de l’année solaire).

Ce qui est intéressant à noter est qu’en ce temps-là, la traduction d’ouvrages de langues européennes en persan était rare. Les rares traductions existantes étaient faites par des Européens. Le document le plus ancien existant traduit d’une langue européenne est une traduction du latin en persan de la Bible, datant de 1282 (661 de l’année solaire), dont il existe aujourd’hui un seul manuscrit datant de 1314 (693 de l’année solaire). [16]

La cinquième preuve de l’importance du persan est l’emploi de cette langue à cette époque comme langue officielle et diplomatique ainsi que langue commerciale dans une grande partie du monde. Pendant les 45 ans du règne de Shâh Abbâs, des Arméniens d’Iran et quelques juifs iraniens ont voyagé en Europe et ont créé des délégations commerciales dans des villes comme Livourne, Venise, Amsterdam et d’autres villes. Par la suite, les commerçants musulmans ont eux aussi mis en place des délégations, instituant ainsi un commerce direct avec l’Europe et ce jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Les délégations commerciales iraniennes faisaient régulièrement des trajets dans les grands pays européens, où elles pouvaient utiliser leur propre langue en raison de l’existence de nombreux traducteurs et interprètes. En outre, de très nombreux pays européens et tous les pays asiatiques avaient des ambassadeurs à la cour de Shâh Abbâs le Safavide, mort en 1629 (1008 de l’hégire solaire). Ce dernier avait aussi envoyé des ambassadeurs dans la plupart des pays d’Europe qui avaient soit leurs propres interprètes ou des interprètes étaient à leur disposition. Cependant, une période de décadence suivit et à l’époque de Fathali Shâh Qâdjâr, personne ne pouvait lire les langues étrangères dans tout l’Iran [17] et pour lire une lettre de Napoléon, il fallait aller à Bagdad. [18] A l’inverse, à l’époque de Shâh Abbâs, il y avait tant de traducteurs de langues différentes qu’il envoyait cinq interprètes avec chaque corps diplomatique.

A cette époque, le persan faisait partie des langues connues dans les cours européennes et l’imitation des mœurs iraniennes était une sorte de prestige exotique. A titre d’exemple, à son retour en France, de la Boullaye le Gouz, ambassadeur de France à la cour d’Iran, s’était habillé de vêtements iraniens pour rendre visite à Louis XIV. De la Boullaye, accompagné de deux autres personnes, arriva le 13 novembre 1605 à Ispahan. Il voyagea ensuite longtemps en Orient sous le pseudonyme d’Ebrâhim Beyg, ce qui lui permit d’acquérir une très bonne connaissance de la langue persane. On peut aussi citer l’évêque arménien Mathieu de Avanic, qui alla à Rome en 1668 (1047 de l’année solaire) et qui, après son retour à Ispahan en 1673, fit envoyer deux Pères dominicains en Europe avec deux lettres pour le Pape et le Roi de France. Ces deux lettres étaient écrites en persan. Cela nous montre que la langue persane était, à ce moment-là, courante et connue, au moins à la cour de France et au Vatican.

Quelques décennies avant cet événement, c’est-à-dire le 21 décembre 1621, les représentants de l’armée d’Angleterre et les commandants en chef des Iraniens tinrent conseil sur le pont d’un bateau pour déterminer une stratégie de lutte contre les forces portugaises. Les discussions essentielles et finales dans ce domaine ont été signées le 8 janvier 1622 sous la direction d’Allâh-Verdikhân, à Minâ. Il apparaît probable que les discussions se soient déroulées dans une autre langue que l’anglais.

D’un autre côté, les commerçants et surtout les prêtres voulaient également resserrer leurs liens avec la société iranienne et pour ce faire, le moyen le plus simple était d’apprendre sa langue. Le Père Simon Morales fait partie de ces prêtres qui, sur l’ordre de Philippe II, roi d’Espagne et par le choix du comte Santacruz, dauphin d’Inde, furent nommés ambassadeurs et envoyés auprès du roi Mohammad Khodâbandeh. Il connaissait parfaitement la langue persane et la parlait couramment. Pour cette raison, le roi iranien le nomma tuteur de son fils, Hamzeh Mirzâ, afin qu’il lui enseigne le calcul et l’astrologie. Le père Raphael (Rafael) du Mans, auteur d’un livre tendancieux qu’il offrit en 1660 à Colbert [19], connaissait également les mathématiques et la langue persane, et était interprète du Shâh pour les délégations françaises. Hôte de voyageurs français comme Pétis Delacroix, il leur apprenait le persan. Né en août 1613, de son vrai nom Jacques Dutertre, il fut pendant 40 ans un supérieur de l’ordre des Capucins. Il mourut le premier avril 1696 à Ispahan.

Dans l’introduction de son Récit de voyages, Jean Chardin écrit que pour mieux connaître les Iraniens et donner un rapport plus précis de son expérience, durant son deuxième voyage en Iran entre les années 1671-1677, il s’est consacré à l’apprentissage de la langue persane et aux mœurs du peuple iranien. Enfin Pietro Della Valle, ambassadeur et voyageur italien très connu, ramena la dépouille de son épouse assyrienne décédée à Bandar Abbâs à Rome et ses funérailles se passèrent en quatre langues : assyrien, arabe, persan et turc (les quatre langues de l’Orient), et l’épitaphe de sa tombe était également écrite en quatre langues.

Connaissance incomplète et incorrecte

Les Européens qui venaient en Iran et avaient appris la langue persane dans leur propre pays ne pouvaient généralement pas accéder en profondeur à cette langue. Ceux qui, comme Raphael du Mans, qui vécut en Iran durant près de quatre décennies, ou Jean Chardin qui « prétendait parler persan aussi couramment que la langue anglaise et même la langue française » (Schefer, p. 81), ou bien Thévenot, mort en 1667 (1046 de l’hégire solaire) à Myâneh, qui connaissait très bien le persan et le turc et est l’un des seuls à avoir correctement orthographié les noms persans dans son Récit de Voyages [20], sont très rares. Pour cette raison, nous pouvons relever de nombreuses informations approximatives et incomplètes dans ces récits, qui constituent néanmoins les premiers documents de l’iranologie. A titre d’exemple, les noms latins et orientaux contenus dans le livre rédigé par Teixera, une composition des deux livres Rowzât-ol-Safâ et Tazkerât-e Hormoz, comportaient beaucoup d’erreurs. Shefer écrit ainsi que Teixera a rédigé ces noms « sous la forme la plus fausse » (pp. 61-62). A l’époque de Shâh Abbâs, un Anglais, Sir Thomas Herbert, accompagné de Sir Dormer Cotton et Naghd Ali Beyg Ilchi, vinrent en Iran et, de retour en Angleterre, Herbert écrivit un récit de voyage dans lequel il enregistra en latin des noms qu’il transforma tant qu’il est impossible de les reconnaître. (Schefer, p. 25). Bedros Bedik, Arménien d’Anatolie, vint en Iran accompagné de l’Evêque Mathieu Evanik au début du XVIIe siècle. Après son retour à Rome, il écrivit en 1678 un livre intitulé Chihil Sotoun (lire Tchehel Sotoun, littéralement "quarante colonnes", (palais safavide à Ispahan)) où noms propres et communs persans sont considérablement déformés. Même le récit de voyages de Tavernier, très précieux du point de vue du contenu et des renseignements, n’est pas fiable orthographiquement en ce qui concerne les noms.

Ces fautes et lacunes n’ont pas été ignorées des linguistes. Par exemple, au XVIIe siècle, Ange Roussi Joseph critique la traduction persane du Nouveau Testament de Walton. Alors même qu’il a lui-même été critiqué par Thomas Hyde pour les nombreuses erreurs de son dictionnaire multilingue et ce pour toutes les quatre langues du dictionnaire, en particulier le français et le persan. Dans ce dictionnaire, non seulement la transcription des mots est souvent erronée, mais aussi leur traduction.

Remarquer les lacunes et erreurs des dictionnaires et récits, et s’efforcer de les corriger constituèrent les premiers pas vers une iranologie scientifique. Les premiers à l’avoir remarqué furent John Greaves, l’Anglais Thomas Hyde et le Français Petis Delacroix. John Greaves fut le premier iranologue anglais. Il est né en 1636, a appris la langue et littérature persanes de Wellock et a écrit sa thèse de doctorat en persan à l’Université d’Oxford. Il est l’auteur de plusieurs traductions du persan vers le latin. Nous pouvons considérer que Petis Delacroix est le premier iranologue français étant donné que dans le second volume de son récit de voyage publié en 1674, l’une de ses lettres comprend des bases, bien que peu élaborées, d’un orientalisme scientifique. Il a aussi corrigé la méthode de Chardin dans l’écriture des noms iraniens. Connaissant l’arabe, le persan et le turc, ayant vécu plusieurs années à Ispahan où il apprit le persan et le langage de l’administration iranienne, il a également traduit un livre du français au persan. Il s’agit de l’Histoire du roy Louis le Grand par les médailles, emblèmes, devises, jetons, inscriptions, armoiries, et autres monuments publics. (Schefer, p.88)

L’autre preuve de l’importance du persan dans les échanges est la création des premières écoles de langues orientales dans les pays d’Europe, y compris l’Ecole du Pape Urbain VII à Rome, inaugurée au début du XVIIe siècle. Bedros Bedik, l’Arménien déjà nommé, a étudié dans cette école.

Bien que l’enseignement de la langue et littérature orientales, y compris le persan, ait une longue histoire en Angleterre, comme John Greaves qui a écrit sa thèse de doctorat à l’Université d’Oxford en persan, cet enseignement y a officiellement commencé à partir de 1764. [21] Les écoles de langues orientales ont une histoire plus ancienne en France, puisque la première de ces écoles, l’Ecole des Jeunes de Langues, y a été inaugurée en 1669 (1048 de l’année solaire), ainsi que son homologue, l’« Ecole enfants de langue, à Venise, pour qu’on y enseigne les langues arabe, turque et persane. [22] Après la Révolution française, en 1795, on l’a rebaptisa Ecole spéciale des Langues orientales, et elle est devenue aujourd’hui l’Institut national des langues et civilisations orientales ou INALCO. [23]

Au XVIIIe et surtout XIXe siècles, l’iranologie et l’enseignement de la langue persane en Europe sont entrés dans une nouvelle phase, plus scientifique et sérieuse. D’un côté, de nouvelles écoles d’enseignement des langues orientales voient le jour et de l’autre, les relations irano-européennes se développent. Ainsi, en Allemagne, l’enseignement de la langue et littérature persanes commencent dès le début du XIXe siècle grâce aux efforts de Franz Bopp. [24] Vers la même époque, le Danemark, grâce à Rasmus Rask, s’intéresse à l’iranologie, et quelques décennies plus tard, c’est au tour du Danemark, où Arthur Christensen, en inaugurant l’Institut d’Iranologie du Danemark, donne une nouvelle dimension à l’iranologie. [25] Quant à la Russie, les recherches sur la langue et la littérature persanes y ont commencé dès le début du siècle dernier. [26] Bien que les Japonais aient tardivement commencé leurs études en iranologie, aujourd’hui, ils ont rattrapé ce retard et ont publié de très importants ouvrages en la matière, ainsi que sur l’islam et la philosophie iranienne. [27] Alors que l’islamologie s’est développée dans différents domaines et que le persan est devenu un moyen d’avoir accès à certaines sources pour cette recherche, il existe encore des erreurs dans l’écriture et la traduction des noms, et même dans la traduction du persan en langues étrangères. Un exemple suffirait à illustrer cette carence : Henri Massé, célèbre orientaliste français qui a écrit de nombreux livres sur la culture iranienne et dont les efforts ont contribué à la connaissance de l’Iran en France, est notamment l’auteur d’un Essai sur le poète Saadi, traduit en persan par Gholâm Hossein Yousefi. [28] Dans cette traduction, nous pouvons lire :

Le maître Saadi a un quatrain :

« Un jour, ensemble, toi et moi, nous irons à la campagne

Nous quitterons, seuls, la ville, toi et moi.

Tu sais bien quand est-ce que nous serons joyeux ?

Quand il n’y aura personne, seulement toi et moi ».

(Saadi, Koliyât, p. 679)

Massé a employé le mot « campagne » pour sahrâ, qui est pour le persan l’équivalent de « champs », mais pas de champs cultivés, puisque le sahrâ désigne la plaine et le désert. [29] Ce détail, ainsi que d’autres problèmes du même genre, attirent l’attention des persanophones qui veulent créer des institutions convenables pour l’enseignement de la langue persane. Ces derniers devraient se montrer particulièrement attentifs à la transmission et à la traduction du persan ailleurs dans le monde et, nous espérons que les démarches nécessaires seront faites dans ce domaine.

Notes

[1A ce propos, il existe des informations assez complètes dans différentes sources, dont la dernière en date était l’ensemble des présentations du Troisième séminaire de la langue persane, dont les annales ont été publiées sous le titre de Masâel-e zabân-e fârsi dar Hend o Pakestân o Banglâdesh (Les problèmes de la langue persane en Inde, au Pakistan et au Bangladesh, Téhéran, Presses Universitaires, 1990.)

[2Le Père Raphael du Mans, « Etat de la Perse en 1660 », rédigé pour Colbert, introduction de Charles Schefer, Paris, Ernest Leroux, 1890.

[3Hâeri, Abdol-Hâdi, Nokhostin rouyârouyihâ-ye andishegarân-e irâni bâ do rouyeh-ye tamaddon-e bourjouazi-e gharb (Premières rencontres des penseurs iraniens avec les deux faces de la civilisation bourgeoise de l’Occident), éd. Amir Kabir, 1991, p. 635.

[4Deyhim, Guiti, « Vâje-hâye dakhil-e fârsi dar zabân-e farânsavi » (Les mots persans de la langue française), in Loqmân, vol. 5, l’hiver 1991, pp. 29-50.

[5Sajjâdieh, Mohammad Ali, Vâje-hâye irâni dar zabân-e engelisi (Les mots iraniens dans la langue anglaise), éd. Bonyâd-e-Neyshâbour, Téhéran, 1984, p. 224

[6Abdolhamd, Abdolmajid, Pakdaman, Nasser, Ketâbshenâsi tamaddon-e irâni dar zabân-e farânseh (Bibliographie de la civilisation iranienne dans la langue française), éd. Université de Téhéran, vol. 2, n. 283, p. 30

[7De Fouchécour, Ch. H, « Aux portes de l’Arche de Noé », in Loqman, vol. 1, p. 11. Pétrarque vécut de 1304 à 1374 (683-753 de l’année solaire), et comme Hâfez mourut probablement en 1389, il y a donc un intervalle de 15 ans.

[8Beaucoup d’études ont été menées sur ce dictionnaire :

1-Drima, V., « Sur la datation de la première partie du Codex Cumanicus », in Orient, vol. 27, 28 1981, p. 388. A propos de la date de la première partie du dictionnaire.

2-Ligeti, I., « Prolegomena to the Codex Cumanicus », in Acta Or. Acad. Sc. Hung., 35, 1981, pp. 1-54 A propos de l’histoire des études en rapport avec ce dictionnaire, les problèmes linguistiques et la manière d’écrire les mots en persan dans ce dictionnaire.

[9Avec prioritairement les bibliographies compilées et publiées grâce aux travaux conjoints des professeurs Mohsen Sabâ, Abdolhamid al-Mohammad, Nâsser Pâkdâman et Yahyâ Mâhyâr Navvâbi.

[10Mojtahedi, Karim, « Ganjineh-ye loghat az gharn-e hefdahom » (Le trésor du vocabulaire depuis le XVIIe siècle), revue Ayandeh, 11e année, no. 4 et 5, juillet et août 1987, pp. 266-279.

[11Elementa linguae persicae item, anonymus Persa, de siglis Arabum et Persarum astronomicis, latiné et persicé londini, 1649.

[12Proverbiorum et sententiarum persicarum, centuria, collecta et versione notisque adornata, Jean Maire.

[13Grammatica linguae persicae, 1661.

[14« Livre des Lumières » ou « La conduite des rois », composé par le sage Pilpay indien, traduit en français par David Sahib d’Ispahan, Paris, 1644. Pour en savoir plus sur le choix de David Sahib comme traducteur, voir : Javâd Hadidi, « Saadi et certains nouvellistes français » (en langue française) in Loqmân, 4e année, no. 2(été 1988), p. 36

[15Pharmacopoea Persica ex idiomate persico in latinum conversa, Paris, 1681.

[16Curzon, George Nathaniel, Persia and the Persian Question, traduit par Gh. Vahid Mâzandarâni, éd. Markaz-e- Elmi-va Farhangi, v.2, 1982, p.641

[17Pour mieux comprendre la signification du mot et les autres formes du mot « Farangui » (occidental) dans la langue persane, voir : N. Takmill-Homâyoun et A. Rouhbakhshân, « Farang et Farangui en Iran », in Loqmân, III, 2, (été 1987), pp. 55-78

[18Hadidi, Javâd, « La presse de langue française en Iran », in Loqmân, vol. 2, (été 1989), p. 9.

[19Voir la référence numéro 2.

[20Ce livre a été traduit en persan et publié par Mohsen Sabâ.

[21Sabâ Mohsen, « Tarikhcheh-ye iranshenâsi dar engelestân va amrikâ-ye shomâli » (L’histoire de l’iranologie en Angleterre et en Amérique du nord), éd. Farhang-e-Irânzamin, Téhéran, vol. 12, pp. 218-242.

[22Richard, Francis, « Aux origines de la connaissance de la langue persane en France » in Loqmân, III, I, (hiver, 1987), pp. 23-42

[23Kord Ali, Mohammad, « Madreseh-ye alsaneh-ye sharghi-ye paris » (L’école des langues orientales de Paris), revue Ta’lim-o-Tarbiat, 5e année, pp. 369-373 et pp.480-482.

[24Monshizâdeh, Dâvoud, « Sharghshenâsân va sharghshenâsi dar Almân » (Les Orientalistes et l’Orientalisme en Allemagne), revue Yâdegâr, vol. 2, no. 8 et 9, pp. 73-81

[25Gharavi, Mahdi, « Motâleât-e irânshenâsi dar Dânmark » (Les études d’iranologie au Danemark), revue Râhnamâ-ye Ketâb, v. 2, pp. 744-749

Diakonov, Mikhaïl, « Tahghigh dar zabân-e fârsi » (Recherche sur la langue persane), revue Sokhan, (traduit par Jalâl Ale-Ahmad, v.2, pp. 599-604 ; voir également Afshâr, Iraj, Râhnamâ-ye tahghighât-e irâni (Guide de recherches iraniennes), éd. Markaz-e Barresi va Moarrefi-e Farhang-e Irânzamin, Téhéran, 1970, p. 500

[26Pour connaitre brièvement les activités des Japonais sur l’Islamologie et l’Iranologie, voir notamment : Nashr-e Dânesh, 9ème année, no.3, Avril-mai 1985, pp. 69-70.

[27Ibid.

[28Massé, Henri, Essai sur le poète Saadi, traduit en persan par Gholâm Hossein Youssefi et Mohamad Hassan Mahdavi Ardebili, Téhéran, éd. Tous, 1982, p. 442

[29Aghâyâni Tchâvoshi, Djafar, « Etude/critique de l’Essai sur le poète Saadi de Henri Massé », in Loqmân, IV, 2 (été 1988), pp. 75-76


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