N° 107, octobre 2014

La politique extérieure des Afshârides


Hamideh Haghighatmanesh


La fin du règne safavide est marquée par le chaos des attaques afghanes, ottomanes et russes, ainsi que par le mécontentement des Iraniens vis-à-vis d’un pouvoir chancelant et incapable d’assurer la sécurité du pays. Il s’ensuit par conséquent une période de troubles et d’anarchie, entraînant l’occupation d’une partie du territoire iranien. C’est dans ce contexte qu’apparaît Nâder, considéré par certains comme le Napoléon Bonaparte iranien. Nâder prend le pouvoir en tant que chef des armées de l’un des derniers souverains safavides, Shâh Tahmâsp II, alors enfant. Stratège extraordinaire, il endigue les attaques des pays voisins et réprime les rebelles intérieurs tout en expulsant les Afghans, qui ont pris la capitale safavide. En moins de dix ans, il réussit à faire de nouveau de l’Iran un empire au territoire protégé et aux armées organisées.

Aquarelle indienne, portrait de Nâder Shâh, début XIXe siècle, probablement copiée sur un modèle original datant du milieu du XVIIIe siècle.

En 1736, Nâder, allant au bout de ses manœuvres pour prendre le pouvoir, détrône Shâh Tahmâsp et, montant lui-même sur le trône, fonde la dynastie afshâre (1736-1749). L’Etat afshâr, malgré sa courte vie, réussit à préserver l’unité et l’intégrité de l’Iran contre les invasions. Etant donné que le court règne des Afshârides est marqué par d’incessantes guerres offensives et défensives à l’intérieur et à l’extérieur du pays, ces derniers n’ont guère le temps d’administrer la situation socio-économique, voire culturelle de l’Iran. C’est donc un Etat militarisé, dont la stratégie est à la source de nombreuses guerres, qui rendent difficiles les conditions de vie des Iraniens et vident les caisses de l’Etat. Du fait de l’absence d’une administration étatique forte et centralisée, nous pouvons considérer que l’Etat afshâr disparaît à la mort de Nâder en 1747 car après cette date, les conflits sanglants entre les prétendants et les successeurs du trône aboutissent à une anarchie totale et à l’anéantissement de ce qui reste de cette dynastie.

Sous le règne de Nâder Shâh (1736-1747), la politique étrangère est pleinement soumise aux entreprises militaires et pour Nâder, la guerre est le moyen par excellence d’atteindre ses objectifs politiques. L’essentiel de la politique extérieure de l’Etat afshâr se base donc sur l’axe militaire, avec pour objectif de libérer les territoires du pays occupés par les voisins, de protéger l’intégrité territoriale chèrement reconstituée, et de garantir l’indépendance du pays. Mais outre l’aspect militaire, cette politique extérieure a néanmoins d’autres aspects, notamment religieux, économique et commercial.

Sur le plan religieux, les historiens ont des avis divergents concernant cette dimension de la politique de Nâder, que ce soit à l’intérieur du pays ou vis-à-vis du grand ennemi ottoman. Ils sont cependant plus ou moins unanimes à penser que Nâder souhaitait un gouvernement basé sur une unité islamique entre diverses écoles. Il tente d’ailleurs de régler ce problème avec les Ottomans, d’abord en parlementant, puis en usant de la force, mais ces derniers refusent de collaborer. C’est finalement après de nombreuses tentatives qu’il abandonne l’idée d’une unité religieuse.

Le commerce extérieur, quant à lui, pâtit fortement des expéditions militaires. Les échanges entre l’Iran et les pays européens chutent et les relations commerciales entre l’Iran et certains pays comme l’Angleterre, la Hollande et la France continuent de s’amoindrir, malgré les efforts de Nâder qui privilégie une politique de libre-échange. Encourager le commerce extérieur a aussi pour objectif de redresser l’état des finances intérieures. Cependant, la stagnation de la production et des activités économiques en Iran ainsi que les crises consécutives aux guerres, qui affaiblissent la productivité, ne favorisent pas un essor. Au vu de ces problèmes, Nâder Shâh accorde quelques privilèges commerciaux à des compagnies étrangères, notamment anglaises, avec pour objectif de redresser l’économie du pays. Afin d’encourager les activités de ces compagnies, Réza Gholi Mirzâ, le fils de Nâder Shâh, les autorise à commercer dans l’ensemble du pays, en leur promettant de garantir leur sécurité et de les soutenir. Précisons que du fait des absences récurrentes de Nâder parti guerroyer, son fils tient un rôle important dans le commerce extérieur, s’attribuant d’ailleurs le monopole du commerce de la soie en Iran.

La Perse au XVIIIe siècle, des Safavides aux Afshârides.

Il convient également d’ajouter qu’avec l’arrivée au pouvoir de Nâder, les Russes se rapprochent des Iraniens et nouent des liens politiques, militaires et économiques avec l’Etat afshâride. En échange de leur approvisionnement en équipements militaires et de leur non-ingérence durant les campagnes de Nâder contre les Ottomans et les Afghans, ils obtiennent d’importants privilèges commerciaux en Iran. Un traité conclu à l’époque entre les Russes et les Iraniens précise que les ressortissants de chacun de ces pays sont libres de faire du commerce dans l’autre pays.

Dans son plan de sécurisation des frontières, Nâder Shâh a besoin de dominer les côtes et les îles du golfe Persique, de développer le commerce extérieur, et de s’opposer à l’expansionnisme de l’Etat russe dans la mer Caspienne. Il décide donc de développer et de fonder une marine iranienne, commerciale et militaire. Nâder a aussi compris que la communication maritime joue un rôle essentiel dans le commerce. Pour ce faire, il profite de la rivalité commerciale russo-britannique dans les mers de la région.

L’origine de l’intérêt de Nâder Shâh pour une marine forte est militaire. Au moment de la rébellion de l’un des gouverneurs partisans de Shâh Tahmâsp II le Safavide, Mohammad Khân Baloutch, ce dernier ayant pris position dans le golfe Persique sur l’île de Kish, Nâder envoie un émissaire, Latif Khân, acheter quelques navires à Boushehr. Malgré le refus de certaines Compagnies étrangères de collaborer avec l’Etat iranien, Latif Khân réussit enfin à acheter un certain nombre de bateaux et en commande d’autres par la suite devant être construits dans le port de Surat, en Inde. La Compagnie des Indes orientales s’efforce d’empêcher ces marchés car l’existence d’une marine puissante en Iran est vue comme une menace politique, militaire et commerciale pour la suprématie des Britanniques dans la région. Cependant, Nâder ne recherche pas une confrontation directe et ménage les Britanniques, malgré leur appui aux Ottomans durant son expédition à Bassora. La Compagnie des Indes orientales se plie finalement aux demandes de Nâder pour l’achat de navires mais demande, en plus d’argent, des avantages commerciaux en échange de chaque bateau.

Mohammad Shâh et Nâder Shâh, 1740, Musée Guimet, Paris.

En 1740, Nâder ordonne le lancement de chantiers de construction de bateaux à Boushehr avec pour objectif l’autosuffisance dans ce domaine. Durant son séjour en Inde, il commande également une vingtaine de navires marchands pour le commerce maritime dans le sud de l’Iran. Au moment de sa conquête de l’Inde, l’ingénieur et marin britannique John Elton est envoyé en Iran en tant qu’émissaire des compagnies commerciales de la Russie. Il est chaleureusement accueilli par Réza Gholi Mirzâ, fils de Nâder Shâh, qui signe des décrets facilitant le commerce de ces compagnies dans le nord de l’Iran. Profitant de cette opportunité, Elton fonde une maison de commerce (dâr-o-tedjâreh) à Rasht, abordant le commerce de la soie. Parallèlement, il est chargé par les Russes de construire deux bateaux destinés à naviguer en mer Noire. Peu de temps après, une brouille avec le consul russe à Bakou le congédie du service.

Engagé alors par les Iraniens, John Elton, surnommé Djamâl Beyg, supervise sur ordre de Nâder Shâh la construction de deux navires à Langaroud. La nouvelle de la construction de ces deux navires fait craindre aux Russes, déjà militairement vaincus par Nâder Shâh, la perte de leur domination sur l’ensemble de la mer Caspienne, perte consolidée par le peu de succès commercial. Ainsi, pour arrêter Elton, ils ordonnent l’interdiction de tout commerce avec les citoyens britanniques dans la zone de la mer Caspienne et expulsent l’ensemble des commerçants anglais actifs dans la région. Malgré ces efforts russes, une marine iranienne prend progressivement forme, grâce aux efforts de John Elton et au soutien ferme de Nâder Shâh à ce projet. On considère l’entreprise maritime de Nâder Shâh comme une étape importante non seulement pour la Marine iranienne, mais aussi pour la situation politico-militaire du golfe Persique.

Essentiellement militaire, la grande préoccupation de Nâder durant son règne a été de rétablir l’unité territoriale d’un Iran ravagé par la chute des puissants Savafides et rongé de toutes parts par les agressions extérieures et intérieures ainsi que la reconquête des territoires iraniens depuis longtemps perdus.

Un détail intéressant de la politique de Nâder envers les agresseurs est qu’il lance immanquablement un ultimatum demandant à l’agresseur d’évacuer le sol iranien. C’est uniquement quand l’ultimatum n’est pas accepté qu’il passe à l’option militaire proprement dite.

La domination militaire de Nâder Shâh ne se limite pas à son propre règne et date en réalité de la fin de l’ère safavide où Nâder était le commandant en chef des armées safavides du roi Shâh Tahmâsp.

Au moment de l’invasion afghane qui met fin à l’existence des Safavides, Nâder est au premier rang. Il tente d’abord de faire face aux Afghans aux abords d’Ispahan, assiégé par Ashraf l’Afghan, successeur de Mahmoud, à la tête de la rébellion des Afghans. Mais la révolte afghane, qui gronde à Herat au point de toucher Mashhad, a alors déjà atteint des proportions incontrôlables et Nâder doit d’abord s’occuper d’elle.

Quand Nâder marche sur Herat, Ashraf l’Afghan, commandant des Afghans et occupé à piller Ispahan, tourne bride et décide d’arrêter Nâder dans le Khorâssan. Mais la confrontation a finalement lieu dans le Semnân en 1729 et se termine désastreusement pour Ashraf. Après cette défaite à Dâmghân, Ashraf se retire vers Téhéran mais Nâder le poursuit et le vainc encore une fois. Ne pouvant plus résister, Ashraf retourne à Ispahan qu’il attaque de nouveau, tuant environ trois mille personnes - des militaires ghezelbâsh mais aussi des civils. Peu après, Nâder arrive également à Ispahan et obtient une nouvelle victoire sur Ashraf. Lors de cette bataille, les Ottomans, heureux de voir leur puissant ennemi safavide à genoux et occupant déjà une partie du territoire iranien, offrent à Ashraf le soutien de leur artillerie. Nâder réussit à tous les vaincre et renvoie les captifs ottomans en Turquie. Quant à Ashraf, aux abois, il se réfugie dans le Fârs où Nâder va le retrouver après une quarantaine de jours de repos dans la capitale. De nouveau, l’armée d’Ashraf est défaite et se replie vers Lâr et Fassâ, durant une marche si rapide que de nombreux Afghans meurent de faim ou de fatigue ou sont tués par les habitants. Ashraf envoie son frère en émissaire auprès des Ottomans pour leur offrir le butin pillé en Iran en échange de leur aide, mais ce frère est tué en chemin. De même, Ashraf, qui avait décidé de momentanément se réfugier au Baloutchistân, est exécuté par un des puissants clans baloutches. Après cet incident, la question de l’attaque afghane est peu ou prou réglée.

Portrait indien de Nâder Shâh Afshâr, XVIIIe siècle, Empire Moghol d’Inde, conservé au British Museum, Londres.

Avant de lancer sa campagne contre les Afghans, Nâder, qui voyait déjà se profiler les importants problèmes politico-militaires posés par le grand voisin du nord, demande aux Russes de rendre à l’Iran les régions côtières de la mer Caspienne qu’ils ont occupées. Le mauvais temps de ces zones et l’état de fatigue de son armée poussent la Russie à accepter cette proposition. Mais il faut garantir que les Ottomans ne risquent pas de prendre leur place. Un traité est donc conclu entre les Russes et Nâder Shâh à Rasht, selon lequel les Russes acceptent de restituer les territoires de l’Iran situés au sud de Salyan et de la Koura. Cependant, il stipule que l’évacuation des autres zones dont Derbent et Bakou sera réalisée à la condition que l’Iran reprenne Erevan et le Caucase envahis à l’époque par les Ottomans, et qu’il empêche la domination de ces derniers sur les côtes de la mer Caspienne. Nâder accepte ce traité et réussit effectivement à reprendre le Caucase, notamment le Shamâkhi et le Daguestân occupés par les Ottomans, après quoi les Russes rendent également ces régions à l’Iran conformément à un autre traité.

Après s’être assuré du calme du côté afghan, Nâder qui avait également demandé aux Ottomans de restituer les territoires iraniens qu’ils occupaient, apprend qu’ils ignorent son ultimatum. Il lance donc une nouvelle campagne sans attendre et réussit rapidement à reprendre Nahâvand et Hamedân face à une armée ottomane si surprise qu’elle se replie très vite sur Bagdad. Nâder part ensuite vers l’Azerbaïdjân et après avoir vaincu l’armée ottomane, entre à Tabriz avec l’intention d’encercler Erevan. Cependant, l’annonce d’une nouvelle attaque afghane sur Mashhad le pousse à abandonner le siège et se diriger vers cette ville pour y aider son fils Rezâgholi Mirzâ qui en est le gouverneur. A ce moment-là, le frère de Mahmoud l’Afghan, Hossein Khân, chassant Allâhyâr Khân, le gouverneur de Herat et arrivant près de Mashhad, a vaincu Ebrâhim Khân Zahiroddowleh, frère de Nâder. Après être arrivé à Mashhad, Nâder confie d’abord la responsabilité de la prise de Herat à Allâhyâr Khân ; il va ensuite à Tadjan pour aider son frère, Ebrâhim Khân Zahiroddowleh. Le calme revenu, Nâder retourne à Mashhad. Ainsi, en une année, Nâder put pacifier la situation troublée de l’ouest de l’Afghanistan.

Mais en l’absence de Nâder parti guerroyer, Shâh Tahmâsb, qui avait déjà confié la régence du Khorâssân à Nâder en le déclarant responsable du gouvernement de l’est de l’Iran, décide d’intervenir à l’ouest et lance une campagne militaire sur Tabriz en 1732. Il l’emporte sur les Ottomans près d’Erevan qu’il encercle par la suite. Il veut terminer ce que Nâder a commencé avant le retour de ce dernier. Pour briser le siège d’Erevan, les chefs militaires ottomans Ali Pâshâ et Ahmad Pâshâ sont chargés de prendre le Jibâl iranien (arâgh-e ajam) pour désengager l’armée iranienne d’Erevan. Shâh Tahmâsp se précipite à Hamedân pour y affronter les Ottomans. Mais Ahmad Pâshâ lui propose de faire la paix, le distrayant ainsi, puis attaque. Surpris, Shâh Tahmâsp est vaincu et Ahmad Pâshâ prend Kermânshâh et Hamedân. Ali Pâshâ s’empare à son tour de Maragha et de Tabriz et Shâh Tahmâsb s’enfuit à Ispahan.

Ahmad Pâshâ, conscient et effrayé du génie militaire de Nâder (qui n’est alors pas encore au courant de l’expédition de Shâh Tahmâsb et de son échec), pense qu’il n’est pas prudent de prolonger les hostilités et propose la paix au roi de l’Iran. Suite à cette proposition, un traité humiliant pour l’Iran est conclu avec les Ottomans. Selon ce traité, les Iraniens cèdent aux Ottomans tous leurs territoires situés au nord de l’Arax, dont Ganja, Tiflis, Erevan, Nakhitchevan et le Daguestan, en échange de ne pas être dépossédés de Tabriz, d’Ardalân, du Lorestân, de Hamedân et de Kermânshâh. Aucune mention n’est faite dans ce traité des prisonniers de guerre iraniens captifs des Ottomans et du sort qui leur est réservé.

C’est au cours de sa campagne à Herat que Nâder reçoit le texte du traité qu’il doit signer. Ce qu’il refuse de faire, envoyant un ultimatum à l’Etat ottoman en lui demandant de restituer immédiatement tous les territoires iraniens occupés, sinon, de s’attendre à la guerre. Après avoir maté la rébellion à Herat, il décide d’aller vers Bagdad lancer sa campagne contre les Ottomans qui n’ont pas répondu à l’ultimatum. Il prétexte notamment la non-mention du sort des captifs iraniens et par ce moyen, déclare implicitement son désaccord avec le roi safavide, qu’il considère comme un incapable. Ce désaccord le pousse à aller à Ispahan, malgré l’insistance du roi qui veut le voir à Bagdad signer le traité. A Ispahan, Nâder monte un plan élaboré qui présente le roi comme indigne de rester et lui vaut de pouvoir le détrôner en 1732, le remplaçant par son tout jeune fils. L’enfant est trop jeune pour régner. Nâder devient tout naturellement son régent, puis destitue et emprisonne le jeune roi à Mashhad, dont le gouverneur est son fils Rezâgholi Mirzâ. Il couronne ensuite un enfant encore plus jeune, autre fils du roi déchu Tahmâsp, sous le titre d’Abbâs III.

Ayant désormais les pleins pouvoirs, Nâder part à Kirkouk, où le rejoint l’armée d’Azerbaïdjan, pour s’attaquer aux Ottomans. Pour ne pas avoir à assiéger les forteresses bien gardées de Bagdad, il tente d’attirer Ahmad Pâshâ dans le désert, mais l’Ottoman ne tombe pas dans le piège. Nâder assiège alors Bagdad pendant près d’un an. Malgré la famine, Ahmad Pâshâ résiste courageusement, sans réussir à convaincre Nâder de faire la paix. Face à cette situation critique, le sultan ottoman envoie en renfort à Ahmad Pâshâ son commandant, Toupâl Osmân Pâshâ avec une armée de 100 000 guerriers. Nâder prend d’abord le dessus et force les nouveaux arrivants à reculer, mais d’une part, l’infanterie iranienne souffre énormément de la chaleur, et d’autre part, la cavalerie est gravement touchée par les Ottomans. Nâder lui-même ayant été pris sous des tirs, les Iraniens, pensant qu’il a été tué, battent en retraite. L’armée

de Nâder se dispersant, Ahmad Pâshâ peut sauver Bagdad.

Bataille de Karnâl, peinture datant des débuts de l’ère qâdjâre

Mais cet échec n’ébranle pas la volonté de Nâder d’en finir avec l’occupation ottomane. Campant à Hamedân, il équipe son armée, se préparant pour une nouvelle campagne. Il se dirige ensuite vers l’Irak où il réussit à vaincre Toupâl Osmân Pâshâ près de Kirkouk. A la suite de cette victoire de l’armée iranienne, Ahmad Pâshâ, représentant l’empire Ottoman, signe un traité de paix avec Nâder. Selon les termes du traité, les captifs des deux belligérants doivent être libérés et les frontières de l’ère du Safavide Shâh Soltân Hossein sont reconnues par les deux pays. Mais le sultan ottoman Mahmoud Ier refuse de signer le traité et ordonne la préparation d’une armée conséquente pour attaquer l’Iran. Abdollâh Pâshâ, choisi comme commandant de cette nouvelle armée, demande un délai de deux ans pour se préparer à envahir les territoires de l’ouest de l’Iran.

Cependant, suite à cette réaction du sultan ottoman, Nâder attaque sans hésiter Shirvân alors gouverné par Sorkhây Khân, un émissaire ottoman. Il traverse ainsi la Koura et entre à Shamâkhi. Sorkhây s’enfuit, demandant secours aux Pâshâs de Ganja et de Tiflis. Nâder envoie alors le commandant de son armée, Tahmâsb-Gholi Khân Djalâyer, à la poursuite de Sorkhây Khân qui s’est réfugié en Circassie. Dans sa lancée, Djalâyer conquiert une bonne partie du Daguestan, après quoi Nâder l’envoie s’emparer de Qandahar. Il charge également Safi Khân, un autre commandant, de prendre Tiflis. Lui-même assiège Ganja que l’armée d’Ali Pâshâ, l’un des commandants de l’armée ottomane, défend âprement. Mais Nâder dispose de renseignements et de techniques fournis par l’ambassadeur russe et des ingénieurs qu’il a invités en Iran. Il intensifie donc le siège. Les Ottomans tentent alors d’obliger le Sultân de Crimée à attaquer le Daguestan, mais cette manœuvre nécessite le passage par le territoire russe. Un conflit éclate donc entre Russes et Ottomans pour cette raison et les premiers concluent avec lui un traité contre les Ottomans.

Parmi les villes de l’Iran envahies par l’Etat ottoman à partir de la domination des Afghans jusqu’à l’apparition de Nâder, il faut citer Erevan, Ganja, Kars et Tiflis, dont les forteresses servent d’abris et de réserves aux armées ottomanes. Sans les prendre, Nâder n’a aucune chance d’expulser l’ennemi du sol iranien. Quand l’armée iranienne les assiège, Abdollâh Pâshâ, ayant pour objectif d’attaquer l’armée d’Iran, dirige sa propre armée vers Erevan et engage la bataille avec les forces de Nâder. Il est cependant durement vaincu. Après cette guerre, Ganja et Tiflis redeviennent iraniennes, mais Kars et Erevan sont toujours tenues par les Ottomans. Finalement, ces derniers acceptent de céder Erevan à condition que Kars reste sous leur domination. En 1736, les territoires d’ouest et de nord-ouest de l’Iran étant repris par Nâder, un traité de paix est conclu entre l’Iran et l’Empire ottoman.

La même année, Nâder lance une campagne contre le roi rebelle de Géorgie, les rebelles Lezgis et ceux de Daguestan ; après y avoir installé ses agents, il traverse l’Arax et campe dans la plaine de Moghân. Là-bas, lors d’une grande cérémonie festive, il détrône Abbâs III, se couronne lui-même et se fait reconnaître comme roi d’Iran sous le titre de Nâder Shâh Afshâr. Après son couronnement, il envoie immédiatement des ambassades dans les pays voisins.

Se proposant de définitivement stopper les Afghans, de reconquérir tous les territoires séparés de l’Iran et de reconstituer les frontières iraniennes de l’époque de Shâh Abbâs II le Grand, il lance une campagne à Qandahar en 1737, envahi par Hossein Khân, frère de Mahmoud Afghân, qui prétend à l’indépendance. Située au pied des montagnes Suleyman dans une vallée coupée par l’une des branches de la rivière Hirmand, Qandahar a de bonnes défenses, tours et forteresses. Pour cette raison, le siège de la ville par l’armée de Nâder dure longtemps. Pour reposer ses soldats, Nâder ordonne de fonder près d’elle une nouvelle ville appelée Nâder-Abâd. Enfin, le moment est propice pour prendre les forteresses, toujours durement défendues par les assiégés. Après un mois de siège, les troupes bakhtiâries de Nâder Shâh réussissent finalement à percer et à prendre l’une des forteresses, ouvrant la voie de la ville. Hossein Khân se voit contraint de capituler et est fait prisonnier par Nâder Shâh. D’autres combattants afghans réussissent à se réfugier en Inde.

A l’époque, Delhi est la capitale de Mohammad Shâh, l’un des rois Mongols d’Inde. Son ministre tyran et ambitieux,

Nezâmolmolk, lassé du roi mongol, démissionne et afin de punir le roi et ses courtisans, provoque des rébellions dans les alentours de Delhi. Ces rébellions sont notamment accompagnées de pillage. Simultanément à cette situation troublée en Inde, Nâder Shâh envoie une ambassade demander à Mohammad Shâh de ne pas donner abri aux rebelles afghans et de les rendre à l’Iran. Mais son ambassadeur est arrêté et emprisonné à Delhi. Nâder envoie un nouvel émissaire chargé, en plus de la demande initiale, de protester contre l’arrestation du premier ambassadeur. Mais le nouvel ambassadeur est tué sur ordre du gouverneur de Kaboul et les Afghans attaquent de nouveau l’Iran. Nâder envoie un troisième émissaire et, voyant qu’il est ignoré, se décide finalement pour une expédition militaire contre une Inde mongole qui soutient inconditionnellement les Afghans.

A Delhi, Nâder Shâh regarde les corps de ses soldats lynchés par les habitants de la ville.

Une fois au courant de cette expédition, Mohammad Shâh met une armée sur pied, armée qui semble suffisante pour défendre les zones frontalières de son pays. Mais Nâder conquérant d’abord Kaboul, avance ensuite vers Peshawar, qu’il occupe également, puis prend Lahore dont le gouverneur est capturé alors que, sorti de la ville, il tentait d’organiser la défense.

Face à ces défaites successives, Mohammad Shâh, roi de l’Inde, se voit contraint d’organiser toutes ses forces en vue de stopper l’avancée rapide de Nâder Shâh vers Delhi. En un mois, une armée de 300 000 soldats, 2000 éléphants de guerre et 2000 canons est équipée et envoyée pour arrêter Nâder. La plaine de Karnâl, située à une centaine de kilomètres au nord de Delhi, est choisie par les Indiens pour y attendre les Iraniens. L’armée de l’Iran constituée de 100 à 160 000 hommes de guerre se prépare en chemin à l’affrontement.

En 1739, les avant-gardes d’Iran avancent dans la plaine de Karnâl et les Indiens engagent la bataille. Les Iraniens résistent et contre-attaquent malgré la domination indienne en nombre et la présence des éléphants de guerre. Nâder résout le problème de ces éléphants avec une solution stratégique nouvelle : plaçant son artillerie en première ligne, il y dispose des chameaux équipés de réserves de pétrole enflammé. Une fois un canon tiré, les chameaux effrayés courent vers les lignes adverses, effarouchant à leur tour les éléphants de guerre qui reculent et piétinent les Indiens, en dispersant ainsi un bon nombre. La déroute de l’armée indienne est inévitable et Mohammad Shâh se rend, cédant les trésors royaux de l’Inde au roi afshâr. Nâder Shâh le laisse continuer à être roi de l’Inde et part sur son invitation à Delhi s’installer à la cour, en interdisant tout désordre ou pillage à ses hommes.

Le séjour de Nâder à Delhi dure deux mois, paisibles au départ, mais qui aboutissent à un massacre qu’il ordonne suite à un accès de colère résultant de manipulations de la part des riches commerçants de Delhi. En effet, pour résoudre le problème de la famine qui règne aux alentours de la capitale indienne, Djalâyer, commandant de l’armée de Nâder, est désigné pour ouvrir les entrepôts de provisions de la ville et en vendre les céréales à un prix équitable. Cependant, les commerçants, mécontents, engagent et incitent des aventuriers à fomenter des troubles, notamment en faisant courir la rumeur de l’empoisonnement de Nâder. A la nouvelle de cette mort, la ville plonge dans le chaos. Pour mettre fin à ce désordre, Nâder Shâh se présente en personne au centre du rassemblement des rebelles, mais on lui jette des pierres et on lui tire dessus avec des flèches. Nâder, doté d’un tempérament violent, explose

et ordonne un massacre qui dure cinq heures. Mohammad Shâh, qui arrive sur place en compagnie de quelques courtisans, demande à Nâder de cesser la tuerie. Nâder accepte et ordonne la cessation du massacre, ce qui est fait en une heure. Etant donné la grande étendue de Delhi et de ses faubourgs, la vitesse d’exécution de cet ordre paraît étrange et étonne alors tous les témoins de l’événement.

Quelques jours après cet événement, Nâder se calme définitivement et après avoir assisté au mariage de son petit-fils Nasrollâh Mirzâ avec la fille de Yazdânbakhsh, l’un des descendants du roi mongol Aurangzeb, il conclut un traité de paix avec l’Empire mongol d’Inde. Conformément au traité signé à Delhi, le canal de la rivière Indus, de son embouchure dans la mer Oman jusqu’aux montagnes Suleyman, est reconnu comme la frontière entre l’Iran et l’Inde, toutes les régions à l’ouest de cette frontière faisant partie du sol iranien. Le traité comprend également une clause de coopération militaire. Après avoir conclu ce traité, Nâder se met en route vers Qandahar. Entrant à Herat, il monte sur son trône pour présenter aux gouverneurs et aux délégués de ses territoires le butin qu’il a rapporté d’Inde. Une pièce de ce butin, offert par Mohammad Shâh comme indemnité de guerre, et estimé selon les historiens valoir de 30 000 000 à 87 500 000 livres anglaises, contenait les deux gros diamants Kouh-e Nour (Montagne de Lumière) et Dariâ-ye Nour (Mer de Lumière), ainsi que le Takht-e Tâvous (Trône du paon), où siégeront désormais de nombreux rois iraniens.

Il faut souligner ici un point très important : les rois successifs de l’Iran n’ont presque jamais été premiers agresseurs. Durant le dernier millénaire jusqu’à l’époque contemporaine, presque chaque guerre de l’Iran a été une guerre défensive, avec pour objectif d’expulser des envahisseurs, cela depuis l’invasion mongole au XIIe siècle jusqu’à celles des Ottomans ou de la Russie, de l’attaque des Alliés durant les guerres mondiales jusqu’à l’attaque de l’Irak contre l’Iran au début des années 1980. Dans tous ces cas, l’Iran était agressé et non pas agresseur. On peut également constater ce fait pour un roi aussi belliqueux que Nâder Shâh. La quasi-totalité de ses guerres était contre des puissants agresseurs et occupants comme les Afghans, les Ottomans ou les Russes, qui avaient tous annexé de grands pans de l’Empire iranien. Même la conquête de l’Inde est faite après que le roi indien décide sciemment de prendre le parti des Afghans agresseurs de l’Iran et avant l’expédition, Nâder Shâh envoie trois fois des ambassadeurs pour montrer sa volonté de paix. De plus, s’il avait l’intention de garder l’Inde, il aurait mis fin au règne des Mongols en destituant Mohammad Shâh.

Diamant Dariâ-ye Nour (Mer de Lumière)

Nâder décide par la suite de se diriger vers les frontières du nord-est du pays, attaquées comme d’habitude par les gouverneurs ouzbeks de Boukhara et de Khiva. Pour ce faire, il envoie un groupe à Balkh avec ordre de bâtir une petite flottille destinée à monter l’Oxus jusqu’à Boukhara. Ainsi est fait et le gouverneur de Boukhara capitulant, Nâder épouse l’une de ses filles et désigne l’Oxus comme la frontière entre Iran et le territoire de Boukhara. Il part ensuite avec 1100 bateaux vers Khiva pour en punir le gouverneur qui, pendant le séjour de Nâder en Inde, a violé les frontières de Tadjan. Nâder l’arrête et conquiert Khiva. Il revient ensuite en Iran et va à Mashhad pour préparer une armée afin de réprimer les rebelles Lezgis qui ont tué son frère quand il était en Inde. Cette préparation nécessite près d’une année, au terme de laquelle il se rend au Daguestan. Cependant, en passant par la forêt de Savâd-Kouh, il est blessé au bras droit par une flèche, blessure qui le trouble et qu’il considère comme un mauvais augure. Il continue quand même sa campagne et va au Daguestan. Là-bas, certains des chefs lezgis lui déclarent leur soumission, mais la plupart des habitants du Daguestan se réfugient dans les hautes montagnes de la région et mènent des raids sur le camp de Nâder, causant des dégâts, allant même jusqu’à piller la tente royale. Les Russes, informés de l’expédition de Nâder au Daguestan et de son plan de mettre sur pied une marine militaire dans la mer Caspienne, postent une armée à Astrakhan. Cette entreprise de la Russie encourage les Lezgis et Nâder Shâh bat en retraite.

Durant les années suivantes, Nâder s’occupe des affaires intérieures du pays tout en réprimant des émeutes dans le Fârs et le Gorgân. Ces émeutes font croire au sultan ottoman que le règne de Nâder Shâh est ébranlé et que l’occasion est propice pour eux de faire reculer le Shâh Afshâr de l’Irak et du Caucase. Il ordonne donc la préparation d’une armée constituée de cent cinquante mille cavaliers et de quarante mille fusiliers. Nâder, mis au courant, se positionne à Morâd-Tapeh où une bataille sanglante éclate entre les deux armées. Le commandant ottoman, malade, décède et l’armée ottomane, démoralisée, bat en retraite. Nâder Shâh a gagné la guerre et le butin comprend l’armement et les munitions modernes des fusiliers ottomans.

Après cette défaite désastreuse, la cour ottomane, ne voyant plus de profit à continuer cette guerre, accepte de conclure un traité de paix avec l’Iran en 1746. Ce traité comprend à l’origine des articles concernant la liberté religieuse, notamment la reconnaissance du chiisme comme un des piliers (arkân) de l’islam, mais ils sont supprimés pour permettre enfin une paix durable entre les deux pays. Selon ce traité, les frontières démarquant les empires Iranien et Ottoman sont celles définies à l’époque du Sultân Morâd IV et de Shâh Safi le Safavide ; les deux Etats doivent éviter de commettre tout acte menaçant la paix ; l’Etat ottoman doit garantir la sécurité des pèlerins iraniens ; chaque parti doit accepter les ambassades de l’autre parti pour une période de trois ans ; et les commerçants des deux pays peuvent faire du commerce avec l’autre pays en étant exempts de taxes spéciales. Ce traité reconnu par les deux Etats, leurs captifs respectifs sont échangés, le Caucase restitué à l’Iran et Mossoul, Kirkouk, Bagdad et Bassora restitués aux Ottomans. Cette guerre avec les Ottomans est la dernière expédition de Nâder Shâh qui est assassiné par quelques-uns des commandants de son armée en 1747. Après sa mort, l’Iran plonge dans l’anarchie et la dynastie afshâre, déclinant, ne survit que deux années à la mort de son fondateur.

Pour conclure, il faut souligner que la propension de Nâder Shâh à guerroyer a eu pour résultat la reconquête de nombreux territoires iraniens perdus durant le déclin des Safavides. Le résultat en est une politique ultra militarisée. C’est pourquoi le gouvernement de Nâder, depuis le début de son engagement aux côtés des derniers safavides jusqu’à sa dernière expédition à l’ouest de l’Iran, doit être considéré comme l’ère de la royauté militaire en Iran. En effet, bien qu’il ait été roi, Nâder Shâh est resté un conquérant guerrier jusqu’à son dernier souffle.

Nâder Shâh installé sur le trône du Paon après avoir défait Mohammad Shâh d’Inde, 1850

Reproduction du Diamant Kouh-e Nour dans sa version actuelle

Cette fresque met en scène la bataille de Karnâl, Ispahan

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- Houshang Mahdavi, Abdorrezâ, Târikh-e ravâbet-e khâreji-ye Irân (L’histoire des relations internationales de l’Iran), éd. Amir-Kabir, 2008.
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- Lockhart, Lawrence, Nâder Shâh, traduit par Moshfegh Hamedâni, éd. Amir-Kabir, Téhéran, 1979.
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- Moussavi Dâlini, Djavâd ; Maveddat, Lidâ, « Cherâi va chegounegi-ye ta’sis-e nâvgân-e daryâi-ye Nâder Shâh dar Khalidj-e Fârs » (Le comment et le pourquoi de la fondation de la flotte maritime dans le golfe Persique à l’époque de Nâder Shâh), in Târikh-Pajouhi, no 36-37, 2008, pp. 43-58.
- Site d’informations spécialisées Tabnak, code de la nouvelle : 86480.
- Vista news Hub, article 203471.


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