N° 118, septembre 2015

Sur un tapis d’Ispahan (5)


Kathy Dauthuille


VIII
Le troisième carré
ou
Le jardin du sud
Nastaram

Voici que Nastaram

entre discrètement en jeu

dans la troisième case ;

elle se présente vêtue

d’une longue tunique ivoire

assortie d’une coiffe pointue

et d’une écharpe légère

couleur de l’arc-en-ciel.

Quand son corselet de fin velours

fut ajusté devant le miroir,

son regard se perdit au loin,

vers la chaîne enneigée d’Elbourz.

pour revenir au pavillon

de la prison dorée où vit la cour.

A toute heure du jour ou de la nuit,

elle explore le bout du jardin,

rêvant de l’autre côté du tapis.

Aussi s’interroge-t-elle :

« Comment est-ce là-bas ?

La vie s’arrête-t-elle à la bordure ?

Peut-elle en faire le tour

et marcher le long de la marge ?

Est-elle sur un vaisseau

traversant les espaces ?

Sa vie, se résume-t-elle

à un inconcevable voyage ? »

Quand Rostam se présente,

serein à l’entrée du carré,

le phénix comme à son habitude,

est en train de planer.

Puis, de son point en altitude,

il descend brusquement

et se place devant lui,

lui interdisant d’avancer.

– Simorgh, vénéré,

j’étais venu remettre

un Sceau-cylindre

au majestueux Homâyoun.

Il a bien reçu mon offre

et maintenant je repars

vers ma lointaine contrée.

Sur ce, le phénix s’étire et tire

une plume de son corps ondulé,

une longue rémige orangée,

qu’il tend au voyageur effaré.

– A partir de maintenant,

voici ton laissez-passer ;

tu n’auras plus besoin

de te justifier.

– Ô magnifique

Simorgh,

je te remercie ;

cette plume me ravit

le cœur et l’esprit.

– Va, mais je te suivrai.

Et l’oiseau prend

son sublime envol

vers un ciel lavande

frangé d’argent.

Le jardin du sud

est offert au soleil ;

Nastaram en sillonne

toutes les allées,

taillant les rosiers

et comptant aussi

les chardonnerets.

Elle est en quête

de la sortie du labyrinthe,

dont la porte secrète,

entre plantes et fleurs,

à la vue, est dissimulée.

Rostam se tient debout

et la regarde passer.

Immobile, il la contemple.

Aussi, dès qu’elle l’aperçoit,

elle saisit un plateau

ou « jardin du ciel »

garni de fines fleurs de bambou,

y dépose son fruit vermeil

et s’approche à petits pas doux

pour lui présenter ou

bien l’échanger.

IX
suivi de
La danse du derviche

Nastaram saisit le fruit

avec délicatesse

et Rostam en fait de même.

– Je vous remercie pour votre geste,

j’aime ce fruit, dit-elle.

Je vous invite à vous asseoir,

et regarder dans l’écoinçon.

Il y a une surprise.

– Sur le plateau ?

– Ici et ailleurs.

– Je vois un derviche,

va-t-il danser ?

– Oui, je pense...

on dirait qu’il s’approche ;

il tient dans ses mains

un petit tapis rouge.

– Quelle chance !

– Mettez-vous à l’abri

dans ce petit pavillon ouvert,

vous y serez à l’ombre douce

sous les tentures vertes.

Alors Dastan,

le derviche tourneur,

revêtu simplement

de sa longue

et blanche tunique,

entre en scène.

Il avance en frôlant le sol,

en direction du bord de la marge,

puis revient en glissant,

portant avec grâce

sa toque cylindrique.

Il dépose avec révérence

son tapis écarlate à ses pieds,

signe qu’il va danser,

composant ainsi

une mise en abîme

dans les tapis cramoisis.

Il fait trois tournoiements

et attend la flûte de pan.

Dès les premiers sons,

il amorce les rotations,

faisant se succéder les voltes

en une danse séculaire

qui hypnotise le parterre.

Inclinée, sa tête est restée,

telle une toupie, il pivote ;

une main dressée vers le ciel

et l’autre dirigée vers la terre.

Sa danse est prière ;

il lie les mondes et les espaces,

les herbes et les arbres.

Son environnement est respecté,

toutes les lignes convergent

et s’enlacent en une nuée.

N’est-il pas un être volant

sur un tapis invisible ?

N’est-il pas un être venu d’ailleurs

parcourant les galaxies

sur un jardin flottant ?

N’est-il pas celui

qui, en lévitation

survole le monde ?

Dastan trace tour à tour

des ondulations et des spirales,

exécute des cercles entre des miroirs

qui eux-mêmes se renvoient des rosaces.

Dastan tourne, tourne, tourne...

sa voie se manifeste et se crée.

A une étoile relié

et à la terre ancré ;

il transcende les vocalises,

pour descendre et monter

par son chemin ailé.

Aujourd’hui un Eden

fait de multiples images

se trace et se tisse.

La vie se matérialise

dans le velours,

la soie ou la laine ;

elle est tantôt trame,

tantôt chaîne.

Les diverses scènes s’animent,

les tableaux sortent peu à peu

d’un long engourdissement.

Une guirlande de minéraux

et de souples végétaux

participe à la ronde

pour honorer le maître.

Un joueur de luth

assis sur un coussin vert

se concentre

dans le silence ;

il se prépare à jouer

et ajuste les cordes

de son cœur

qui se met à vibrer.

Il connaît l’âme élevée

des derviches du palais

où l’on chante la force

et l’amour de la paix.

La danse se finit,

les amis échangent

un long regard ému

troublé de perles de larmes

où flottent des mirages.

– Merci Nastaram,

Je suis enchanté.

–Va, Omid t’attend

pour la suite

de ton épopée.


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