N° 118, septembre 2015

Aperçu des difficultés de
la culture et de l’industrie
du thé en Iran


Shahâb Vahdati


La culture du thé a été introduite en Iran en 1900 par Kâshef-os-Saltaneh. Aujourd’hui, le thé iranien est cultivé sur une superficie de 34 000 hectares sur la côte australe de la Caspienne, à la proximité de villes comme Rasht, Lâhidjân, Langaroud et Tonekâbon. Il existe plus de 100 usines travaillant dans ce secteur en Iran, avant tout dans le traitement du thé. Jusqu’à ces dernières années, environ 6,5% de la demande du pays était satisfaite par la production intérieure, et le reste fourni par les importations. Cependant, la concurrence des thés étrangers a considérablement réduit la consommation de thé iranien par les Iraniens eux-mêmes. Aujourd’hui, après plus de cent ans de culture du thé, cette activité est dans un état critique, et cette crise a été exacerbée avec le refus à plusieurs reprises des usines d’empaquetage d’acheter leur thé auprès des agriculteurs nationaux. Un certain nombre de facteurs, dont le système de propriété foncière, les prix du thé non traité, les méthodes de traitement du produit et certaines règles commerciales propres au pays sont en partie responsables de la crise actuelle de la culture et de l’industrie du thé en Iran. En outre, l’utilisation de matériel obsolète ainsi que le fractionnement des exploitations ralentissent gravement le développement de la culture du thé en Iran : ainsi, plus de 85% des surfaces cultivées sont des zones peu vastes où les opérations d’enrichissement de la terre ou de lutte contre les organismes nuisibles ne sont pas réalisées correctement. En conséquence, du point de vue de sa qualité et de son prix, le thé iranien n’est pas compétitif sur le marché mondial.

Les paramètres naturels ont également une influence déterminante sur la production de thé : le niveau des précipitations et les caractéristiques des sols. Les études réalisées dans ce domaine ont montré que, du fait de ces facteurs, la culture du thé connaît un net ralentissement six mois par an et d’importantes fluctuations le reste de l’année. Les principales zones de production de thé se trouvent dans les régions pluvieuses de l’Iran, où les précipitations annuelles ne varient que faiblement. Cependant, les variations saisonnières sur les terres dépourvues de système d’irrigation provoquent une diminution importante de la production. Pendant les années de sécheresse, les plantations dépourvues d’un système d’arrosage performant subissent d’importantes pertes, parfois amplifiées par la pollution de l’air qui empêche les rayons du soleil d’atteindre les plantes. Quant à l’inégalité de la surface et la qualité de la terre cultivée, il faut préciser que 85% des plantations de thé en Iran ont une déclivité qui dépasse 30%.

Champ de thé dans le Guilân

Une fois traitée, la feuille verte du thé est transformée en thé sec suivant divers processus tels que le massage, le criblage, la fermentation et le séchage. Chacune des étapes de la préparation exige une attention sans laquelle la qualité du thé sera affectée. Il y a quelques décennies, la qualité du thé iranien restant médiocre, et étant donné son incapacité à concurrencer les autres thés vendus librement sur le marché, le gouvernement s’est obligé à mettre en place un processus complexe pour le vendre. Ce processus consistait à obliger les importateurs de thé à acheter du thé iranien selon une quantité de 1,5 à 2,5 fois inférieure au thé d’importation et pour un prix fixé par le gouvernement. Dès lors, le thé iranien s’est vendu à deux prix : celui fixé par le gouvernement, et celui auquel se vendait ce thé sur le marché, qui étaient de 30% à 40% inférieur au prix d’achat ; les importateurs augmentant ensuite le prix du thé étranger pour compenser les pertes subies lors de la vente du thé iranien. La baisse artificielle du prix du thé iranien a eu pour résultat la baisse de la production intérieure et l’augmentation des importations en provenance de pays tels que le Sri Lanka, l’Angleterre ou l’Indonésie. Le secteur est alors entré dans un cercle vicieux, le gouvernement étant forcé en retour de payer des subsides aux cultivateurs pour les aider à écouler leur marchandise.

Depuis 1990, l’Iran autorise l’importation libre du thé par le secteur privé. L’augmentation du volume des importations, avec un affranchissement des droits de douane et sans considération pour les difficultés de la production intérieure, a eu pour effet de saturer le marché iranien de différents types de thés étrangers, et de porter un coup grave à la production intérieure. Depuis l’an 2000, l’achat des feuilles de thé se fait sur la base de l’offre et de la demande, ce qui a pour résultat une baisse considérable de la vente du thé national. En 2004, alors que la consommation avait atteint les 120 000 tonnes, seule la moitié de la production iranienne, s’élevant à 30 000 tonnes, se vendit tandis que le reste fut stocké dans les entrepôts. Les usines refusèrent d’acheter ce thé, et progressivement, 95% des surfaces de culture furent abandonnées. Suite à cet événement, le gouvernement dédommagea les cultivateurs avec une indemnité de 7 500 000 rials par hectare. En 2005, un projet visant à enrayer la disparition de la production intérieure a été mis en œuvre par le gouvernement. Il consiste à acheter le thé selon sa qualité, divisée en deux catégories - supérieure et normale -, auxquelles correspondent les prix de 1670 et 1170 rials pour chaque kilo. Cette mesure a été prise dans l’espoir que les producteurs achètent des feuilles de bonne qualité auprès des cultivateurs afin d’augmenter la qualité du thé produit. Mais comme les usines de traitement du thé hésitèrent face aux risques que présente le marché intérieur, le gouvernement donna la garantie, à travers une loi, d’acheter au prix approuvé le produit brut en cas de nécessité, si le thé n’était pas vendu sur le marché (loi adoptée le premier mai 2005 par le conseil des ministres).

Champ de thé à Fouman

Ainsi, le gouvernement s’oblige à l’achat des stocks de moindre qualité. En revanche, une fois le traitement du produit réalisé par le secteur privé, les prix suivent celui du marché. Malgré ces mesures, et alors que l’industrie du thé est désormais régie en Iran par le régime de l’offre et la demande, ce secteur reste à la traine, et n’est pas encore capable de rivaliser avec le thé importé. De ce fait, cette production et ce produit n’ont subsisté jusqu’à aujourd’hui que grâce au soutien du gouvernement.

Certaines solutions existent cependant pour améliorer la qualité de la production et la compétitivité du thé iranien. De nombreuses surfaces cultivées subissent un processus d’érosion créé par les précipitations qui diminue la qualité du sol. En raison de la décomposition et du lavage de la couche supérieure du sol, pour chaque hectare, 2400 kg d’humus, 150 kg d’azote et 95 kg de phosphore sont perdus. L’érosion réduit la production et amoindrit la qualité du thé. Les experts estiment que l’installation de petites digues permettrait d’enrayer ce problème, d’autant plus important que 85% des terrains de culture de thé en Iran se situent sur des pentes excédant 30°. Un autre problème réside dans les variations de température et de précipitations. Or, la production pourrait augmenter si la majorité des champs de thé étaient dotés d’installations d’arrosage performantes. Il existe également un rapport significatif entre la superficie du champ de thé et la qualité du produit. Les champs vastes sont mieux entretenus, puisque les grandes unités jouissent de crédits plus importants et que les champs sont exploités de façon mécanisée. Or, comme nous l’avons évoqué, le thé est encore en Iran majoritairement produit par des petites exploitations peu rentables et mal organisées. Ainsi, la mauvaise gestion et la petitesse des entreprises agricoles sont également des facteurs ayant un impact négatif sur la production du thé en Iran, et la fusion de ces petites exploitations pourrait contribuer à une plus grande efficacité de la production et une amélioration de la qualité du thé.

Les plus grands producteurs de thé (1000 tonnes )

D’autres difficultés résident également dans les circuits de distribution du thé iranien. Améliorer la qualité de la production nécessiterait également de revoir l’ensemble du système d’aides : dans les conditions actuelles d’achat exclusif avec un prix constant et garanti actuellement en vigueur, le cultivateur n’est guère motivé à produire des feuilles de bonne qualité, que l’on retrouve dans la jeune pousse du haut du théier. Assez souvent, l’ouvrier agricole est tenté d’augmenter le poids des feuilles cueillies en y ajoutant de vieilles feuilles épaisses, car l’ouvrier cueilleur est rémunéré en fonction du poids de la cueillette journalière, fournissant une production de basse qualité. De son côté, l’usine vend le thé préparé en fonction du poids et n’assume aucune responsabilité quant à la qualité. L’industrie d’emballage iranienne n’est pas non plus performante et contribue à rendre la production difficilement vendable. Un tel produit ne peut donc être concurrentiel sur le marché, et nécessite une intervention gouvernementale. Le cercle vicieux continue donc à exister, menaçant à moyen terme l’existence de cette production en Iran. Cependant, la récente politique de fixation des tarifs en fonction du prix du thé à l’importation constitue un bon début susceptible de permettre, si elle est accompagnée d’une planification adéquate, de surmonter graduellement la crise actuelle et de développer cette activité agricole sur des superficies plus vastes. S’il en va autrement, la culture du thé risque fort de disparaître du système agricole du pays.

Bibliographie :
- Ashbari, Faradjollâh et al., Barresi-e masâ’el va emkânât-e tose’eh va tolid-e tchây dar mantagheh shomâl-e Irân (Etude des problèmes et des moyens du développement de la production du thé au nord de l’Iran), Rasht, éd. Sâzmaneh-ye barnâmeh va boudgeh-ye ostân Guilân, 1994.
- Afrâkhteh, Hassan, « Avâmel-e mo’asser dar kamyiat va keyfiat-e tchây-e Irân » (Les facteurs influant la quantité et la qualité du thé iranien), Faslnâmeh-ye pajouheshi-e eghtesâd-e keshâvarzi va tose’eh (Revue trimestrielle de la recherche sur l’économie agricole et le développement), Téhéran, pp. 75-85, 1997.
- Râstin, Bahrâm, Tahghighi dar zamineh-ye kesht va san’at-e tchây-e Irân (Recherche sur la culture et l’industrie du thé en Iran), Téhéran, Centre de statistiques d’Iran, 1980.
- Enâyat, Rezâ, Tchây-e Irân va khatt-e mashi-e ân dar barnâmeh-ye tchahârom (Le thé iranien et le programme gouvernemental durant le quatrième plan national de développement), Téhéran, éd. Sâzmân-e barnâmeh va boudgeh, 1966.


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